LES AMANTS DE SAÏGON

Chapitre 31 / POUR MA MÈRE

La situation est quand même plus que bizarre ! 

Un père qui sort de nulle part, des souvenirs qui remontent subitement à la surface et le tout dans une boutique où le flot d'impressions et de sentiments étranges côtoient son lot d'ignorances.

Il est parfois prudent d'ignorer certaines choses et de volontairement les occulter pour se permettre d'emprunter un chemin parallèle à celui qui semblait écrit rien que pour vous.

Cette destinée modulable dont vous n'avez pas su en définir les lignes. Celle qui s'est imposée à vous, mais à laquelle vous n'avez prêté aucune attention, elle vous perturbe et vous donne mal au crâne à chaque fois que vous faites un pas de trop.

Pourtant vous avez toujours le libre arbitre de vos choix et c'est grâce à ces choix que votre vie s'oriente vers le coté où vous osez imprudemment vous aventurer.

Chacun sait que l'on préfère souvent la voie de l'inconnu plutôt que celle qui semblait nous êtes tracée en toute impunité !

Mais en fait, c'est bien plus compliqué que ça ! Il n'y a pas que vos choix qui composent l'équation, ceux des autres personnes que vous croisez et avec qui vous échangez en permanence, font aussi partie de la tangente de toutes vos décisions.

Et c'est là que tout devient casse gueule !

C'est là qu'apparaissent les nuits sans sommeil, les yeux humides et les larmes qui coulent. Les journées paisibles qui se transforment en un amas de paroles revêches et hurlantes. Pour parfois devenir violence et briser d'un simple revers de la main sur votre joue sensible, cet équilibre que vous aviez façonné de désir et d'espoir.

Pour Thīanne cette rencontre n'est que le début d'une quête vers les révélations de sa naissance. Un pas de plus vers ce père auquel elle avait cessé de penser et la possibilité de peut-être rencontrer la seule personne qui sans le savoir lui a toujours énormément manqué...

Sa Mère.

Cette femme que Xupang a toujours aimé, même s'il a été contraint de l'oublier. Comme l'amant de Chine du Nord a dû jadis renoncer à sa petite française, il a contre son gré, dû renoncer à cette femme vietnamienne qui portait le fruit de leur amour ... Son enfant !

Cette enfant devant laquelle il se trouve en ce moment même et avec qui il va devoir affronter le regard suspicieux de ce frère d'adoption, de ce père de substitution, celui qui jusqu'à présent a été le seul à veiller sur elle.

Celui qu'elle serre dans ses bras depuis plus de quatorze ans. Celui qui a su lui donner de l'amour, ce même amour que son propre frère a jadis tenter de lui voler jusqu'au point de le détruire !

Il va devoir seul, face à Thīanne et à ces douloureux souvenirs, affronter Sadeck !

Le même Sadeck, qu'il a déjà rencontré mainte fois lors de ce projet de modernisation de cette ville dont les investisseurs chinois en sont les précurseurs et qui est tombé à l'eau par manque d'abrogation du comité décisionnaire de la ville.

Cet homme que pour des raisons personnelles, il n'a jamais vraiment osé regarder en face...

Nharie est étonnée de nous voir ainsi tous les trois réunis pour quitter la boutique. Mais elle reste professionnelle et nous salue avec sa bienveillance habituelle, nous souhaitant une bonne fin de journée en s'adressant plus particulièrement à l'homme qui est à mes côtés.

@ Nharie
Au plaisir de vous revoir très bientôt,
M. KIM.

Cette étrange connivance s'estompe lorsque Xupang lui adresse un dernier sourire et qu'ensemble nous quittons la Boutique de leur Imaginaire d'un pas peu assuré en direction de cette belle et imposante demeure qui se trouve de l'autre côté de la rue.