Chapitre 36 / LA LETTRE DE LOAN-HI

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La chambre est emplie d'une chaleur humide et l'on entend les pales du ventilateur swinguer en une sorte de ronronnement qui fait partie du décor de ces vieux hôtels où furent jadis logés les premiers colons en quêtes d'aventures dans les rizières de Cochinchine

Il fait nuit noire, seule la lueur d'une veilleuse éclaire l'entrée, mais pourtant le sommeil n'a pas encore gagné l'homme qui est allongé à même le drap du lit dont l'ossature est faite du traditionnel bambou cerclé de joncs de rotin ayant préalablement été trempés dans de l'eau de riz pour lui donner son aspect souple et résistant.

L'écran du téléphone de Xupang affiche 01:00 am et il n'a toujours pas trouvé le courage d'ouvrir la lettre de Loan-hi. Dans six petites heures il devra réveiller Thīanne afin de prendre le petit déjeuner en compagnie de Sadeck et de Lucile qui sont descendus au même hôtel et finir de se préparer pour l'aéroport vers un retour précipité pour la France.

Plus rien ne le retient ici !

Il cherche en lui ce qu'il a raté et se demande pourquoi les choses devaient-elles se passer ainsi ? Il se sent responsable de ne pas avoir su affronter l'autorité de son père et de les avoir abonnés, cette femme et l'enfant qu'elle portait. Elle aurait dû être plus précieuse que sa propre vie, mais il n'a pas été à la hauteur et s'est enfuit...

Mais on ne refait pas l'histoire, il faut simplement apprendre à vivre avec !

C'est vingt ans trop tard, qu'il a enfin fait son devoir de père. Même si ce ne fut que pour un très court instant, il a permis à Thīanne de rencontrer sa mère et de faire la lumière sur son passé. Mais il lui a également fait comprendre, que seul son avenir était important et que sa vraie de famille n'était pas ici.

Là-bas de l'autre côté des mers, Medhi et Evie se meurent d'impatience de la revoir et ce n'est qu'auprès d'eux seulement qu'elle trouvera ce lien qui lui permettra pleinement d'exister.

Ces trois là, se sont un jour trouvés et ils s'aiment d'une manière peut-être peu conventionnelle, mais rien ni personne ne pourra leur enlever cet amour trop fort. Et surtout pas le souvenir d'une vie, qui ne serait qu'un  mirage se dissipant derrière le nuage d'une épaisse fumée.

Thīanne leur revient et c'est à cœur ouvert qu'ils se réjouissent de pouvoir à nouveau l'étreindre dans leurs bras, là où cette jolie résonance bat, tout juste derrière la fine parois de leurs cœurs entrouverts sur le sens si particulier qu'ils ont envie de donner au verbe aimer.

La fenêtre de Xupang est ouverte et une mélodie aux sonorités locales le plonge furtivement dans ses souvenirs. Il revoit le jeune homme de vingt huit ans épris d'une femme et follement amoureux qui croyait avec toutes les certitudes et l'audace de la jeunesse, qu'il passerait sa vie entière auprès d'elle.

Alors il se souvient,

Il l'aime et l'aime encore ! Tous les jours et toutes les nuits, derrière l'ombre des persiennes où la lumière du jour et les bruits de la nuit se fondent dans le décor d'une garçonnière dans un quartier qui ressemble à tous les autres quartiers de Saïgon, mais qui pour lui est unique !

Sous cette chaleur humide, qui rend les peaux moites et les amants amoureux, il respire la moindre parcelle de sa peau pour la graver à jamais dans son corps. Il la caresse du bout des lèvres et s'enivre de cette douce saveur d'ambre épicée qui embaume si délicieusement les draps de lin froissés de leurs ébats interdits. Le rythme des cœurs, des corps enlacés et des baisers trop violents s'étendent au-delà des murs de leur refuge, que même les passants évitent, de peur de devoir rompre la magie de l'instant...

La lettre de Loan-hi lui brûle les doigts et tous ses souvenirs le font souffrir de l'horrible morsure que lui infligent tous ses remords. La plaie ne s'est pas refermée et dans son cœur un trou béant saigne et le consume à petit feu. Alors il puise en lui, tout ce qui lui reste cet amour et trouve le courage d'ouvrir la Lettre...

LES AMANTS DE SAÏGONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant