Chapitre 33 / L'ODEUR DE CHÔLON

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Lorsque les portes de l'avion laissent s'engouffrer cette insoutenable chaleur, Thīanne suivie de Xupang se sent comme perdue dans cette nouvelle dimension aux odeurs et aux regards si différents de ce qu'elle a connu jusqu'à présent.

La France est maintenant bien loin derrière elle et elle va devoir se ré-approprier ce pays après plus de quatorze ans d'exil.

Le Vietnam et ses souvenirs de petite fille sont désormais au centre de toutes ses intentions et retrouver sa mère est l'une des ses premières préoccupations.

Mais avant tout il faut se loger et en compagnie de son père, elle prend place sur la banquette arrière de ce grand taxi noir qui stationne aux abords de l'aéroport. Le chauffeur enregistre l'adresse d'un l'hôtel dans son gps et ils prennent la route.
Xupang s'est assoupi alors que Thianne regarde avec admiration le paysage qui défile sous ses yeux à vive allure.

... / ...

Xupang pose sur elle le regard d'un homme rempli d'espoir, il réalise et prend conscience qu'au-delà d'être son père, il est également celui qui a rempli une part de son contrat... Ramener une fille à sa mère pour que tout redevienne comme avant.

Mais c'est quoi l'avant ?

Est-ce ce sentiment lointain qui pourrait rendre tout si différent ? Lui redonner la sensation qu'il pourrait avoir le choix de vivre autrement.

Il ne cesse d'être hanté par les souvenirs de ce père qui n'a pas su l'écouter et s'est débarrassé de lui en l'exilant vers son pays natal durant de très longues années. Une Chine encore austère où il s'est construit une autre famille loin de celle dont il rêvait.

Aujourd'hui il revient, mais il n'est plus très sûr de pouvoir recoller les morceaux de ce miroir qui s'est brisé dans le passé. Un passé où sa famille a semé le vent de la discorde et répandu la semence d'une abominable perversion.

Même son plus jeune frère qu'il croyait bien éduquer s'est tourné du mauvais côté de l'histoire et s'est déshumanisé dans l'horreur.

Il fut un temps où il était fier de porter le nom des Kim, mais aujourd'hui il doit faire profil bas, s'il ne veut pas, comme le reste de sa famille finir au fond d'un cachot.

Alors c'est dans la clandestinité qu'il s'est introduit sur ce territoire. Grace à sa filière chinoise, il s'est muni de faux papiers d'identité après avoir trafiqué son acte de naissance et il espère ainsi être le plus crédible possible, sous le nom de Xupang Thuy-Lê ...

Le patronyme de sa fille retrouvée.

Il peut donc sans difficulté se faire passer pour le père qu'il est devenu, bien que cela lui semble encore complètement irréel. Il ne lui reste plus qu'à revendiquer ses droits sur l'ancienne demeure des Kim qui suite à l'aliénation de leurs privilèges, fait désormais partie intégrante de l'héritage des Thuy-Lê.

Cette belle maison coloniale aux volets bleu, sur le bord du grand fleuve où jadis l'amant de Duras venait retrouver son père pour partager l'opium.

Cette même maison que la petite de cet amant de Chine du Nord, rêvait en secret de visiter. Elle se l'imaginait bien plus luxueuse que sa pauvre demeure où seule une petite terrasse envahie de moustiques les réunissaient, elle et sa drôle de famille, pour partager de maigres repas.

Elle s'imaginait jouer les grandes dames dans cette maison aux volets bleu. Voulant oublier pour un temps, cette misérable terrasse où sa mère se terrait quotidiennement dans son mutisme, où son frère aîné la scrutait avec toujours plus d'avidité et où son plus jeune frère ancrait indéfiniment les yeux au sol pour ne pas affronter le courroux des coups du grand frère.

LES AMANTS DE SAÏGONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant