LES AMANTS DE SAÏGON

Chapitre 6 / SADECK

Il y a encore quelques minutes j'étais dans mon appartement, les doigts endoloris des longues heures passées sur le clavier azerty de mon pc. Cherchant de la profondeur sur les terres de Guernesey et me perdant en chemin au son d'une cornemuse.

Cette île anglaise a quelque chose de magnifique lorsque la brume se lève de ses tourbières et envahit les alentours redonnant ainsi vie à tous ses fantômes.

Se poser des questions est la nature de l'homme et pourtant nous y trouvons si peu de réponses.

Dans toutes les religions ou les croyances, la mort n'est pas une fin en soi. Il y a toujours un après, comme si l'on se raccrochait au fait que l'étincelle qui brille au cœur de chacun d'entre nous était reliée à un grand tout où la lumière fut, est et sera indéfiniment en éveille.

La représentation du paradis, de l'enfer, la réincarnation, les vallées du grand oasis ou le passage du Nil vers la vie céleste. Toutes ces métaphores que l'homme s'évertue de raconter dans les récits ne sont que la représentation mystique de ses fantômes.

Nos fantômes que nous trimballons au fil des âges les aidant ainsi à traverser le temps par le biais de nos souvenirs, de nos rêves et de nos cauchemars. Et pour ne pas les oublier, nous les mettons en ligne sur les pages de nos histoires.

Très peu d'entre nous sont capables de voir ou d'entrevoir les signes qu'ils nous font de l'autre côté du miroir. C'est pourtant ce que je ressens à chaque fois que je passe la porte de ce repère à histoires, comme si ce miroir me permettait de franchir l'entre deux rives d'un fleuve ondulant à contre courant en se laissant porter par le flot des mots.

Marguerite tes doigts sont plein d'encre, lorsque les miens frappent les touches de mon clavier interactif pour permettre aux lettres de s'écrire et aux mots de s'exprimer. Des décennies nous séparent et pourtant nos fantômes ont l'air de se jouer de nos doutes et nos illusions comme si pour eux la partie venait tout juste de commencer.

Nharie est radieuse aujourd'hui, c'est la première fois que je la vois en robe ! Une soie légère qui danse autour d'elle à chaque fois qu'elle se déplace d'un pas chaloupé dans la boutique.

Lorsque je m'apprête à plonger la main dans le cœur de papier pour y trouver ma sélection du jour, Nharie pose sa main sur la mienne et me fait non de la tête.
Elle m'explique de sa jolie voix dont les aiguës et les graves se mélangent harmonieusement que mes auteurs m'attendent déjà sur la petite table de bois ciré au fond de la librairie et que je suis en retard.

En retard ?

Oui en retard, Hemingway et Duras semblent brûler d'impatience de pouvoir poursuivre la conversation que nous avions commencé quelques jours auparavant. Ils ne sont pas présents physiquement, mais pourtant l'atmosphère est chargée d'une manifestation plus que particulière comme si ils jubilaient que pour une fois l'on s'intéresse à eux !

Autour de la petite table qui sent si bon la cire d'abeille, les coussins matelassés du sofa m'invitent donc à prendre place pour de nombreuses heures de lecture. Je suis assise en tailleur et je me sens comme un poisson dans l'eau. Je suis dans mon élément parmi tous ces livres qui en secret se racontent des histoires et qui renferment au creux de leurs pages les instants de vie de tant de personnages.
Cependant une question me taraude l'esprit...

Pourquoi ces deux livres là et quel rapport ont-ils avec moi ?

Je n'ai jamais mis les pieds au Vietnam ni ne me suis égarée aux abords du mystérieux Mékong et le Paris des années folles n'est pour moi qu'un bref souvenir que j'ai gardé de mes livres d'images.

Ces deux romans ont pourtant quelques similitudes. Ils sont tous les deux autobiographiques et se passent dans les années vingt du siècle dernier, il y a tout juste cent ans...