2. La boîte

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Je renifle bruyamment tandis que mon camarade attend patiemment que je termine de me moucher. Lorsque je relève enfin la tête, il m'adresse un petit sourire triste.

- Venga, macho, tú puedes.

Je lui rends son sourire et le remercie mentalement d'être là, à mes côtés. Il sait ce que ça fait. Son père est mort quand Mino avait à peine douze ans.

Je crois que c'est pour ça qu'on est meilleurs amis. Parce qu'on est là l'un pour l'autre dans les moments durs, comme ça. Pour les conneries aussi, bien sûr.

Je sors les clefs de ma poche. Mino s'écarte pour que je puisse ouvrir la porte; j'inspire un grand coup, insère la clef dans la serrure, tourne deux fois vers la gauche et pousse le battant.

Mon ami entre derrière moi et referme la porte, plongeant le vestibule d'entrée dans la pénombre. J'appuie sur l'interrupteur. La lampe grésille avant de s'allumer. Je reste quelques secondes comme en suspension, à observer l'entrée. Je retiens mon souffle.

Rien n'a bougé depuis deux ans.

Des larmes me montent aux yeux.

Non. T'as assez pleuré comme ça.

Je prends une grande inspiration, et m'arrache à la contemplation du couloir. Je me tourne vers Mino et hoche la tête. Il sourit doucement et nous entrons dans la cuisine, puis dans le tout petit salon. Cette fois, je ne peux empêcher des larmes de dévaler mes joues.

Il dormait sur ce canapé. La maison étant minuscule, il avait gardé la chambre à l'étage pour en faire son bureau. De plus, la chambre étant faite en bois, l'isolation était mauvaise, et il y faisait très froid en hiver et excessivement chaud en été.

J'ai passé tant de temps dans cette maison. Tant de bons moments avec mon arrière-grand-père, Joji. C'est comme ça que je l'appelais.

Maintenant qu'il n'est plus là, cette demeure jadis confortable, chaleureuse et pleine de vie semble à présent morte et froide, triste.

En deuil, elle aussi.

J'essuie mes larmes du revers de la manche et nous montons à l'étage.

J'ouvre la porte menant au petit bureau aménagé sous les toits. Je m'avance lentement au cœur de la pièce faite entièrement de bois. Je n'ose rien toucher. Comme si je trahissais Joji en le faisant.

Je scrute la pièce d'un air distant, plongé dans un état second. Mino m'avait dit ça, quand son père était mort.

« Je sais pas, c'est bizarre. J'ai l'impression que plus rien ne me touche. Que quand je regarde les affaires de mon père, c'est une autre personne qui le regarde, qui ne le connaît pas, qui est désolé parce que c'est triste, mais qui ne ressent rien, au fond. Comme si ça faisait trop mal pour que j'accepte de ressentir quelque chose. »

À l'époque, je ne comprenais pas vraiment ce qu'il entendait par là. Maintenant, je ne trouverais meilleure définition à ce que je ressens en ce moment précis.

Je secoue vivement la tête pour chasser ces pensées.

Je me tourne vers Mino, qui observe attentivement le bureau. Un petit sourire en coin vient illuminer son visage.

-Autant le bordel que chez toi, fait-il. Alors c'est un truc de famille !

Je ne peux m'empêcher de rire face à son ton. On dirait un détective qui vient de découvrir qui est le coupable.

-Élémentaire, très cher Watson.

Mino éclate de rire. Il y a de quoi! Cette expression date d'au moins deux siècles!

Mon ami s'avance et tourne lentement sur lui-même.

- Bon alors, elle est où, cette boîte ?

-Probablement dans son bureau. Il y gardait toutes ses affaires personnelles, je réponds en tentant d'ignorer la vague de mélancolie qui me submerge brusquement.

Nous nous avançons vers ledit bureau, placé au même endroit que le mien, en admettant que cette chambre soit la mienne. J'ai un pincement au cœur en apercevant les plumes, cahiers, croquis et maquettes qui gisent en vrac sur le grand meuble en bois de chêne. Mino s'approche sur ma gauche, et ouvre un premier tiroir, au hasard. De la paperasse.

Je l'imite, bien que cela me dégoûte du profond de mon être. J'ai l'impression de violer l'intimité de Joji. Mais je n'ai pas le choix.

En ouvrant un grand tiroir, je tombe d'abord sur plein de photos. Je les repousse, le cœur serré. En dessous, je découvre une boîte en carton vert kaki délavé.

- Je pense que j'ai trouvé, je déclare.

Mino lève la tête, les yeux pétillants. Il sourit en voyant la boîte.

- Ouvre-la !

J'obéis, et découvre que j'ai vu juste. Dans la boîte reposent des articles et des coupures de journal. Plein. Rangés sans aucun ordre apparent. Juste négligemment posés les uns sur les autres.

Je m'assois en tailleur par terre et pose la boite entre mon meilleur ami et moi. Nous sortons avec maintes précautions les bouts de papier fragiles, en grand silence. Seul le bruissement du vieux papier est avalé par les murs de bois qui nous entourent. J'observe mon tas d'articles quelques instants afin de le classer par ordre chronologique. Je les aurais bien scrutés plus longtemps, mais je me contente d'y jeter quelques coups d'œil curieux.

- Chez moi, le plus récent date de 2126, j'annonce.

Mon ami parcourt rapidement ses articles des yeux, en change quelques uns de place, et sourit, espiègle.

- Eh bien moi, j'en ai un de 2109, fanfaronne-t-il.

- Super ! souris-je. Maintenant on range tout ça et on embarque ton article. On le lira à la maison, je commence à sérieusement avoir froid.

Mino hoche vigoureusement la tête, et commence à remettre les journaux dans la boîte. Je l'imite et nous nous retrouvons très vite dans la rue.

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant