29. Midas

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— Lydia a eu une bonne vie. Ses parents avaient de l'argent et s'aimaient plus que tout. Malgré les tensions que j'avais avec mon frère, j'admirais leur famille.
Il soupire, tandis que nous restons silencieux, accrochés à ses lèvres.
— Elle avait un frère, Midas. Il était son aîné de trois ans, et son mentor, son ami, son exemple. Quant à elle, elle était la prunelle de ses yeux. J'ai rarement vu aussi belle fraternité. Midas l'emmerdait dès qu'il le pouvait, et elle était toujours là pour le lui rendre. Midas avait un ami depuis toujours, Alvaro, qui était littéralement un deuxième frère pour lui. Il avait des problèmes à la maison, donc ils passaient leur vue ensemble. Et puis, un jour, à seize ans, il s'est pendu.
Je fronce les sourcils. Alvaro ou Midas ?
— Ça a complètement détruit Midas, poursuit-il, répondant à ma question. Il a sombré dans une sorte de folie. Et, comme le faisaient souvent les gens à ce moment-là, il a commencé l'alcool. Puis le tabac, et enfin, la drogue. Et au passage, du trafic. Il est entré dans la mafia.
Je remue sur le canapé, mal à l'aise. Heureusement que ça n'existe plus. Les mafias étaient ce qu'il y avait de plus dangereux. C'est à cause d'elles que le monde a sombré.
— Mais il était très proche de Lydia. Je suis d'ailleurs persuadé que c'est la seule chose qui l'ait maintenu en vie. Et, petit à petit, elle a réussi à le récupérer. À faire en sorte qu'il arrête la drogue, qu'il s'éloigne de la mafia. C'était dangereux, vous savez. De travailler pour eux. Donc, il a fini par ne plus venir aux rassemblements, ne plus distribuer leur drogue, ne plus en acheter. Je suppose que ça ne leur a pas plu. Lydia est morte dans la semaine qui a suivi. Et Midas s'est suicidé à l'aube du lendemain.
Je reste impassible, encaissent le choc. Il vient de faire une accusation de meurtre. Qui se tient, en plus.
— Vous n'aviez pas dit que vous ne vous souvenez de rien d'autre à part elle ? demande alors Mino avec suspicion.
Edmundo le regarde, désabusé. Puis, il lâche encore un de ses rires sans joie qui gèlent la moêle dans les os:
— Si. Mais, tu sais quel âge j'ai ? J'ai 140 balais, mon cher. Donc tu crois que je n'ai pas eu le temps de chercher et de reconstruire les bouts de souvenir que j'avais ? Et, c'est vrai, mes seuls souvenirs complets là concernaient. Mais il y avait des fragments d'autres. Des morceaux de ma vie passée. Et j'aimais Midas. C'était aussi mon neveu. Mais, plus que tout, je les aimais eux. Leur relation. Leur vie. Leur amour. Ce n'est pas quelque chose qui s'oublie.
— Quelle horreur, chuchote Ainara.
Je hoche lentement la tête. Jamais je n'aurais pu imaginer une histoire plus désespérante que celle-ci. Je ne sais même pas si c'est une bonne idée de sauver Lydia. Je ne sais même pas si elle voudrait encore vivre, après. Je comprendrais si ce n'était pas le cas. Je...
Un détail me percute.
Elle ne sait pas.
Je me frotte la figure avec les mains, sous le choc. Mino a remarqué mon expression, mais je lui fais comprendre par le geste que ce n'est pas le moment de demander.
Elle ne sait pas. Elle ne sait pas que son frère s'est tué. Pour elle. Qu'il est mort.
Que c'est fini.
— Comment il s'est tué ? je demande à mi-voix.
Tout le monde se tourne vers moi. OK, la question était déplacée. Mais j'ai besoin de savoir.
— Une balle dans le crâne.
Encore pire. Une balle venant de cette même mafia, je suppose.
— On ne vous l'a pas dit, mais on a découvert l'existence de Lydia grâce à un devoir d'école. On nous a demandé de présenter le plus lointain ancêtre que l'on puisse trouver.
Je fixe Mino, sans comprendre pourquoi il a trouvé nécessaire de dire ça.
Il me regarde dans les yeux lorsqu'il ajoute :
— Lydia était l'ancêtre de Santi.
Je ne comprends toujours pas.
— Mais, si elle est morte et que Midas aussi... tu descends de qui?
L'homme se frotte la joue du plat de la main, en train d'assimiler. Puis son regard s'éclaire avec une lueur de doute:
—De... moi.
Nous le regardons tous trois, médusés.
— Marc, le pare de Lydia, explique-t-il, était fils unique. Jimena était ma seule sœur. Lydia et Midas étaient leurs seuls enfants. J'ai eu deux filles. Amara n'a jamais eu d'enfants, mais elle s'est occupée des enfants de Diana lorsqu'elle et son mari sont décédés.
Il a dit ça avec une expression froide et vide.
Quelle famille, putain. Et dire que, de certaine façon, c'est la mienne.
Amara était la femme de Joji.
Donc Edmundo... est mon arrière-grand-père.
Je reste muet de stupéfaction. Lui?
Hein?
Le silence se prolonge, puis Edmundo se lève en se râlant la gorge, prend la carafe et les verres. Ses mains tremblent. Il disparaît dans la cuisine, et Ainara le suit sans nous regarder. S'ils se disent quelque chose, je ne l'entends pas. Je croise les yeux perturbes de mon ami, et nous n'emettons pas un bruit, de peur de briser le silence religieux. Quand elle ressort de la cuisine, elle a une mine sérieuse et triste à la fois. Elle nous fait un léger signe de la tête, vers la porte.
— Venez. On y va.
Nous nous levons, et, toujours en silence et sans revoir le pauvre homme, sortons dans la rue.
Le froid me frappe de plein fouet, intensifié par des bourrasques violentes. Je serre les dents.
Raaaah. Je déteste le froid.
Nous marchons jusqu'à la bibliothèque sans échanger de mot. Il n'y a rien à dire.
Une fois dedans, nous nous installons sur les quelques fauteuils de l'entrée pour nous réchauffer.
—Tu vas chercher quand ton matériel du SMOJE, toi?
Nous nous tournons vers Mino. Le changement de sujet...
— Je ne sais pas vraiment, répond rapidement Ainara, comme heureuse de celui-ci. Je pensais y aller demain, mais peut-être qu'on peut y aller ensemble ?
— Nous on y va demain, approuve-t-il.
Elle étire les lèvres, retrouvant son précieux sourire, et nous décidons de l'heure et du lieu avant de se quitter.
Je me demande quel matériel ils vont nous procurer. Les uniformes, j'imagine. Mais quoi d'autre ? Aura-t-on seulement le droit de prendre quelque chose de personnel ? Et si oui, qu'est-ce que j'emmènerai, moi?

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant