10.Belle soirée

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Papa rentre, et fait d'une voix sèche:

- Santi, t'es là?

- Ouais?

- Descends, t'as du boulot.

Je fais une moue et obtempère. Une fois en bas, je me retrouve devant plusieurs sacs de courses pleins à craquer.

- Range les courses, s'il te plaît.

Eh bien, non, il ne me plaît pas, monsieur, je marmonne intérieurement. Je m'attelle à la tâche, en commençant par transférer les sacs du couloir à la cuisine. Ils sont tellement lourds que le court voyage suffit pour couper la circulation sanguine de mes doigts. Des oeufs, du lait, des pâtes, du riz, du pain, ça n'en finit plus! À croire qu'il a fait exprès d'en acheter autant, rien que pour que j'aie du boulot.

Je viens de ranger la dernière sacoche de lentilles quand Papa revient de... je-ne-sais-où, en fait. Probablement de la réserve de bois.

- T'as fini?

- Euh...oui.

- Ok, viens m'aider à couper du bois, alors.

Ah. J'avais vu juste, alors.

J'avale un soupir las, et le suis dans le couloir. Nous enfilons nos bottes en caoutchouc naturel pour ne pas abîmer celles en cuir, nos manteaux et nos gants, avant de sortir dans l'air froid. Je remarque qu'il fait moins sec que d'habitude, rendant le froid moins mordant, et j'en remercie les cieux. Couper du bois par ce temps est une torture, quand il fait sec.

Nous prenons la hache et la scie posées à gauche du portillon d'entrée, et commençons à marcher vers le fond de la rue, moi légèrement en retrait. Nous passons devant la maison de la famille Alcatraz, et j'aperçois par la fenêtre de leur cuisine Soledad s'affairer. Nous passons aussi devant celle de Joji, et j'évite de la regarder par simple habitude. Je sens néanmoins avec joie que sa proximité ne me fais plus mal. Avant, mon coeur se serrait rien qu'en la sachant au bout de la rue, mais à présent, je sens à peine une vague tension dans la poitrine.

Nous sortons de la rue, ainsi que de la ville, et pénétrons dans la pinède qui borde tout le côté ouest d'Asinoa.

Nous ne nous y enfonçons pas beaucoup, juste jusqu'au panneau indiquant " Madera ". Derrière, il y a un grand espace, d'environ une hectare, encadré par des barrières en bois, où on a l'autorisation de venir couper des souches. En-dehors des lieux autorisés, c'est strictement interdit. Il y a à l'entrée un garde assis sur un tronc, les mains dans les poches, le nez dans l'écharpe. Nous le saluons, et je ne peux m'empêcher d'avoir froid pour lui. C'est Martin, l'un des deux gardes qui ont ce poste. L'autre, c'est Juan. Je l'aime moins, Juan. Il n'est pas très bavard. Martin, quant à lui, est une vraie pipelette, et très gentil. Les deux sont là pour surveiller que personne ne prenne trop de bois d'un coup. Sinon, il n'y en aurait vite plus assez pour tout le monde.

Papa va presque jusqu'au fond de l'espace, et choisit une souche déjà entamée, mais fraîche, et commence à hacher grossièrement des morceaux inégaux. Je dois scier des gros morceaux, lui s'occupe de les réduire. Je m'y mets, et nous y passons plus ou moins une heure. Quand nous avons rempli nos deux gros sacs de joute, la nuit commence à tomber, et Martin à dire qu'il va fermer l'hectare, qu'on appelle le Bois entre nous. Nous ramenons donc lentement notre butin à la maison.

Arrivés là-bas, les premières étoiles commencent à s'allumer dans le ciel indigo au-dessus de nos têtes. La cuisine est faiblement éclairée, maman est donc rentrée.

Je grimace devant le manque de lumière dans la pièce.

- Il va bientôt nous falloir allumer les bougies, marmonne Papa à côté de moi, faisant écho à mes pensées.

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant