26. Freyja

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Je regarde Ainara se resservir, mes doigts pianotant sur le bar. Puis, n'y tenant plus, je lâche:

— On doit parler, t'as dit. On est là, vas-y.

Mino me lance un regard assassin auquel je ne réponds pas, et Ainara se tourne vers moi, la mine sérieuse, pose la bouteille fermement à ses côtés, joint les mains sur son verre. Puis, elle lève la tête et me regarde droit dans les yeux:

— Tu as peur de moi. 

Ce n'est pas une question. Elle l'affirme. Comme si elle pouvait en savoir quelque chose. J'ouvre la bouche pour objecter:

— Et ne t'avise pas de me dire que c'est faux, me coupe-t-elle. J'ai déjà vu cette réaction, je suis pas idiote. Je sais faire deux plus deux, Santiago. 

Je la boucle silencieusement. Je ne sais pas ce qui me perturbe le plus: qu'elle ait dit ça, que ce soit vrai, ou bien qu'elle ait prononcé mon prénom en entier. Personne à part mes parents et les profs ne m'appelle comme ça. 

Elle me regarde encore quelques instants, avant de baisser la vue sur son verre, et, avant d'en boire, elle me demande pourquoi. 

Je cligne des yeux. Je ne sais pas quoi répondre. Parce que je ne sais pas tout court. Je ne sais pas pourquoi j'ai peur. 

— Ben, je sais pas. C'est pas normal de voir quelqu'un avec des super pouvoirs tous les jours, je ricane.

 — Ce ne sont pas des super pouvoirs. 

— D'accord, mais même ! je m'exclame. Imagine, une amie t'annonce du jour au lendemain qu'elle a tué soixante personnes en deux ans. Tu réagis comment?

— Mais je n'ai pas tué soixante personnes !

— Mais comment je suis sensé le savoir? On ne sait rien de toi, Ainara! On se connaît à peine, comment je suis sensé savoir? Comment tu peux me reprocher d'être sceptique alors que tu sais faire des trucs pas normaux, qui en plus apparemment peuvent être mal utilisés et dangereux??

Elle soupire:

— D'accord, ce n'était clairement pas la meilleure façon de vous dévoiler le secret. Donc, c'est parti. Je vous explique.

Elle prend une grande inspiration et se lance. 

— Ce que je fais n'a rien à voir avec des pouvoirs. C'est... plutôt un don. Que tout le monde possède, plus ou moins fortement, mais dont seulement peu connaissent l'existence et la façon de s'en servir. Il y a six éléments, dans cet ordre du plus léger au plus lourd: la lumière, l'air, le feu, l'eau, la terre, et, enfin, l'ombre. Plus l'élément est lourd, plus il est dur à contrôler. La capacité de chacun de contrôler les éléments est extrêmement personnelle, et ne suit apparemment aucune règle. Y'en a juste qui sont plus forts que d'autres, pour faire simple. 

— Attends, on a tous ce don? questionne Mino. Et personne ne le sait? 

— Non. Enfin, personne ne veut le savoir. Il est commun que les enfants s'en servent de façon naturelle, sans s'en rendre compte. Mais les adultes prennent peur, leur disent de ne plus recommencer et essaient d'oublier. Donc ils pourraient savoir, s'ils y faisaient attention.  

Je réfléchis, silencieux. Ça n'a pas de sens. Personne n'est aussi aveugle. 

— Donc, poursuit-elle, comme tout ce qui représente du pouvoir, mis entre les mains de la mauvaise personne, ça peut être mal utilisé. Surtout si cette personne est douée. 

— Toi tu contrôles lesquels? je demande, suspicieux. 

— La lumière, l'air, le feu et l'eau.  

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant