Atocha TI - Digne de Vivre

13. Timoteo Marinero

- La vache, murmure Mino. Une cachette secrète !
Je ne peux m'empêcher de lui faire une drole de tête face à son choix de mots.
- Quoi, c'en est bien une, non? me réplique-t-il.
Je secoue la tête, souriant.
Face à nous se déploie un court couloir aux murs blancs et avec une seule petite lampe sur le côté gauche. Ou bout du couloir ne se trouve qu'une seule porte en bois.
Notre alliée s'avance et s'arrête devant la porte, qui a un manche doré et rond.
Ainara l'empoigne, le fait tourner plusieurs fois vers la gauche, puis à droite, puis encore à gauche jusqu'à ce que la porte se déverrouille. Alors, elle la pousse et entre dans quoi que ce soit qu'il y ait derrière.
Nous lui emboîtons le pas, mais nous arrêtons net devant l'encadrement. Alors là, je ne sais pas quoi dire. Mino non plus d'ailleurs. Le spectacle qui s'offre à nos yeux est tout simplement... magique.
Nous nous trouvons dans une pièce de taille moyenne, au plafond moins haut que dans le reste de la bibliothèque mais tout de même à une petite dizaine de mètres de nos têtes. La salle est plongée dans une lumière bleutée, qui sort d'ailleurs de je-ne-sais-où, étant donné qu'il n'y a de lampes nulle part. Cette lueur est présente partout dans la pièce, elle-même divisée par de longs rayons emplis de très vieux livres.  Les poussières qui volent forment des sortes de petites paillettes blanches qui se meuvent lentement mais inébranlablement dans l'atmosphère.
Devant ce spectacle envoûtant, j'oublie la présence de mes amis. Seul un "AAAAAH!!!" suivi d'un boucan épouvantable me sort brutalement de ma rêverie. Je sursaute et regarde devant moi, où Ainara est déjà accroupie devant Mino, qui gise à plat ventre sur le sol de la bibliothèque.
J'ouvre grand les yeux, me retenant de rire.
- Mais qu'est ce que t'as foutu? dois-je en m'approchant d'eux.
- Attention!! crie presque Ainara.
Trop tard. Mon pied tombe dans le vide, mais mon talon reste coincé dans le sol. Je trébuche, et tombe en avant.
- AAAAAAH!
Je tente d'esquiver, mais m'étais de tout mon long sur Mino. Ce dernier émet un drole de râle, comme s'il allait crier mais s'est rappelé au dernier instant qu'on est sensés être silencieux.
- Raaaah, mais fais gaffe!!
- Chuuuut! le coupe Ainara.
Nous obéissons et tendons l'oreille.
Rien.
Les muscles de mes épaules se relâchent légèrement. Je me relève doucement, tentant d'écraser Mino le moins possible.
- Ils auraient pu faire un effort sur la visibilité de cette marche, je marmonne.
- Vraiment, ronchonne mon ami.
J'entends le sourire dans la voix d'Ainara:
- Je suis désolée, j'ai complètement oublié de vous prévenir. Tout le monde se la prend, la première fois. Mais je dois dire que jamais personne n'avait fait autant de bruit.
- Le contraire m'aurait étonné, en effet, fait une voix masculine devant nous.
Je me paralyse. Dans la douce pénombre, je vois Ainara tressaillir et perdre son sourire. Il est remplacé par une moue d'ennui. Elle se retourne et clame:
- Timoteo, qu'est-ce que tu fais là ?
Ledit Timoteo se rapproche d'un pas mesuré, un livre maintenu ouvert grâce à son pouce dans la main gauche. Sa silhouette élancée est plutôt maigre et à contre-jour. Je ne parviens donc pas à distinguer avec clarté les traits de son visage.
- Je pourrais te retourner la question, fait-il, toujours en espagnol.
- Ce sont des amis, rétorque Ainara avant de tendre sa main vers Mino pour l'aider à se relever.
Ce dernier accepte et la prend. Mais je remarque tout de suite que sa main tremble légèrement. Je lève les yeux au ciel.
Ce mec est l'un des moins émotionnels que je connaisse, d'habitude. Une vraie pierre émotionnelle. Tout sauf sentimental. Mais avec Ainara, c'est autre chose.
- Ça va ? fait cette dernière.
- Oui oui, t'inquiète, répond un peu trop vite mon ami.
Timoteo s'est arrêté à la lumière, à peu de mètres de nous. J'en profite et scrute minutieusement son faciès.
Timoteo est un grand homme très blond qui doit mesurer pas loin de deux mètres de haut. Il a quelque chose d'assez séduisant, outre le fait qu'il est, je dois le dire, d'une beauté peu commune. Ou du moins il l'était. Le froid de son expression et l'infinie tristesse dans ses yeux le rend plus vieux, comme fatigué. On dirait que le monde lui est tombé dessus, et qu'il est seul à le porter. Une idée me vient alors brutalement: il me fait penser à Mino.
Mino est pareil. Bon, lui est d'une beauté très  classique, mais ce que je veux dire c'est qu'après la mort de son père, il est devenu pareil. Froid.
Distant.
Timoteo aurait-il perdu un être cher?
Sa peau a une couleur étrange, comme un mat très clair et, dans son cas, cendreux.
Il a les yeux d'un gris profond, ce qui souligne les cernes violets qui les ornementent.
Je pense avoir devant moi un homme détruit. En lui enlevant les années que lui donnent sa souffrance, je lui donnerais aux alentours de vingt ans.
Ainara soupire et s'approche de lui:
- Timoteo, je te présente Santiago et Mino. Les garçons, je vous présente Timoteo. Le frère de mon défunt cousin.
Je frissonne. J'avais visé juste.
Timoteo, quant à lui, n'a aucune réaction face à l'allusion de son frère. Une vraie statue de marbre.
- Enchanté, fais-je par pure habitude.
Mais je me rends rapidement compte qu'étant donnée la situation, c'est un peu ridicule.
Dans tous les cas, Timoteo ne réagit toujours pas. Il a un esprit ou ça se passe comment ?
Il se tourne alors vers sa cousine.
- Tu n'as pas le droit d'emmener de clients ici.
- Je sais, réplique-t-elle sèchement. Je ne suis pas idiote. Mais ils ont besoin d'aide pour un truc un peu particulier, et si cette aide existe, alors elle est ici. Ou chez Lestari, mais j'imagine sans mal que tu préfères qu'on commence par ici?
Lestari? C'est qui ça ?
La statue reste bien entendu de pierre, mais tourne au moins sa tête vers nous.
- Et ils cherchent quoi?
Ouuuh. Il commence à sincèrement me taper sur le système, à ne pas comprendre que nous sommes, contrairement à lui, dotés de volonté propre ainsi que d'émotions.
- Pour l'instant, ça ne te regarde pas, répond Ainara en se détournant et s'engageant d'un pas assuré vers la gauche.
Je sens le doute me submerger. Comment ça pour l'instant ? Il n'est pas sensé savoir UN JOUR. C'est pas son problème.
Avant de la suivre, je remarque quand même que le caillou a haussé un sourcil.
Première réaction: curiosité, surprise ou agacement.
Je secoue la tête. Il a ENFIN réagi face à QUELQUE CHOSE et j'arrive même pas à donner un nom à l'émotion exprimée par sa réaction.