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Nous dépassons le bâtiment de nos supérieurs, strictement identique à nos propres dortoirs, sauf pour l'horloge accrochée à sa façade. Je regarde l'heure en passant: 9h 49.

Devant nous s'étendent à présent des champs à l'herbe rase et givrée par l'heure matinale. Le terrain est colline, craque sous nos pas dans un son satisfaisant et surprenant après l'agitation des dernières heures. À une cinquantaine d'échelles apparaît la lisière d'un bois de chênes rêches. Je retiens un soupir en voyant les arbres.

Encore des chênes rêches. Comme toujours.

Plus loin sur notre gauche, à la hauteur des dortoirs environ, se profilent des terrains plus « sauvages »; l'herbe est tantôt haute tantôt inexistante, remplacée par de la boue interrompue par de rares rochers. Il y a des rouleaux de fil barbelé et des barrières cassées au milieu du « passage », si c'est ainsi que l'on peut l'appeler. Probablement le « tout terrain ».

Mais ce qui nous intéresse se trouve en une longue rangée de cages devant nous. Deux personnes nous ont devancées, et sortent des longs draps à la blancheur parfois douteuse des caisses.

Un coup de vent glacial fait onduler l'herbe haute à gauche, avant de me faire frissonner légèrement.

— J'ai froiiiid, marmonne Santi dans un ton plaintif.

— Moi aussiii, je l'imite, moqueur.

Mon regard fixé sur les cages vers lesquelles nous nous dirigeons, je remarque trop tard que Santi me pousse violemment d'un coup d'épaule. Surpris, je chancèle avant de le lui rendre, trois fois plus fort, bien entendu. Je souris ironiquement en le voyant reprendre l'équilibre, évitant le sol de justesse. Lorsqu'il revient à la charge, je l'esquive, mais il s'accroche à mon bras et refuse de le lâcher, nous entraînant tous deux au sol gelé.

Je percute la terre dure avec une violence qui secoue mes os, retiens une grimace en grognant:

— C'est interdit, ça, connard !

Je roule sur le côté afin de reprendre le dessus sur mon ami.

Il me sourit avec fierté, une étincelle intrépide et arrogante dans le regard:

— Ça a quand même marché, t'es par terre.

Et, avant que je ne le comprenne, son poing sort de nulle part et s'enfonce dans le col de ma combinaison. Et là, il ouvre la main, faisant tomber une poignée d'herbe givrée dans mon dos. Le contact glacial me parcourt de haut en bas.

— Argh, je grogne en me levant pour tenter de sortir l'herbe de mon habit.

Santi en profite pour se lever aussi et mettre un peu de distance entre nous, toujours ce même sourire étirant ses lèvres.

Je le fusille du regard et me jette sur lui; il esquive et part en courant sur le terrain, moi à sa poursuite. Quand je le rattrape quelques secondes plus tard, je le plaque — plutôt violemment, je dois l'avouer. Il laisse échapper une expiration brutale en contactant avec le sol, et j'en profite pour réunir le plus d'herbe givrée possible afin de lui étaler sur la figure et dans le cou.

— Aaah, stop, stop, bâtard, couine-t-il en sentant le froid.

Je souris, sadique. J'ouvre la bouche pour répliquer lorsque j'aperçois du mouvement du coin de l'oeil. Je retourne la tête et vois une paire de bottes cirées reluisantes qui ne m'appartiennent ni à moi, ni à Santi.

Mon regard remonte lentement le long du corps masculin qui nous surplombe. Je déglutis en discernant les traits de son visage, encore plus en voyant les nombreuses médailles accrochées à son épaule droite. Un officier, je suppose. Ou encore pire. Il nous regarde avec un mélange d'exaspération et d'amusement, si j'en crois ses yeux, les pieds joints et les mains croisées dans le dos.

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant