17. Cahier

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Je suis en train de sécher la dernière assiette lorsque j'entends le bruit familier de la clef qui tourne dans la serrure de la porte d'entrée. Je sors dans le couloir, séchant mes mains sur le torchon vert.

Maman entre alors, les joues rosies par le froid.

- Bruuahhh, qué frío*, fait-elle en frottant ses mains gantées.

Elle se retourne et sourit en me voyant:

- Hola, cariño. Siento haber tardado tanto. ¿Qué tal el día?**

- Bien, je dis d'une voix peu convaincue.

Maman revêt son masque de détective et fronce les sourcils:

- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui te tracasse? Problèmes de coeur ?

Je lève les yeux au ciel et esquisse un semblant de sourire.

- Mais bien sûr.

- Qu'est-ce qu'il y a alors?

- Rien, je soupire. Juste que j'étais en train de faire quelque chose quand Papa m'a gentiment rappelé que j'ai fait une connerie il y a un mois.

- T'avais qu'à faire un truc sensé pour une fois, réplique ledit paternel depuis le canapé. Maintenant file. 

Je lui lance un regard noir à travers la porte vitrée, qu'il ne voit heureusement - ou malheureusement - pas.

Je pardonne dans ma barbe en déposant le torchon sous le sourire amusé de ma mère. Regard qui lui vaut un autre regard noir. Elle sourit de plus belle et passe une main dans mes cheveux. Je l'écarte d'un geste brusque, agacé, et descends la trappe menant à la buanderie.

En pliant le linge, je réfléchis à par où commencer mon cahier. Au bout d'un moment et plusieurs idées, je me décide pour celle-ci: coller la coupure de journal de Joji dedans.

*Bouhhhh, il fait froid
**Coucou mon chéri. Pardon d'avoir tardé autant. Comment ça allait ta journée ?

☆☆☆

Je ferme la porte de ma chambre. J'entends tout juste la voix de Maman dans l'escalier:
" On mange dans une demie heure ! Douche-toi avant, s'il te plaît.  "

Je soupire avant de crier un " Oui maman " dans l'escalier.

Je m'approche alors de mon sac de cours, posé au pied de mon bureau,  et en sors la pochette où je garde mes rares cours sur papier. Après avoir cherché un peu, je sors la coupure de journal, et, après réflexion, mon Recopilatorio, où je vais dans la section devoirs. Je pose tout sur la table, à côté de mon cahier resté ouvert. Dans mes devoirs, je cherche le jour où j'ai noté " chercher plus ancien ancêtre ". C'était le 24 novembre.

Je commence à écrire sur le recto de la deuxième feuille du cahier, donc.

« 24 de noviembre de 2134 »

En-dessous, je colle proprement le journal. Puis, je passe au verso; en-haut à gauche, j'écris notre date de visite d'Atocha, en noir.

« 26 de noviembre de 2134 »

Puis, je change d'encrier et écris, en bleu cette fois, un résumé de ce qu'il s'y est passé. Je remplis laborieusement la page; ce n'est pas facile à résumer.

Je ne sais pas avec quoi continuer, alors je gagne du temps en y réfléchissant sous le tuyau en fibre de bambou qui nous sert de douche. Une fois sorti, je me mets en pijama, et ai juste le temps de ranger le cahier - sans avoir rien écrit de plus, faute d'idées- avant que Papa ne m'appelle pour dîner.

Je frotte une dernière fois mes chevuex humides dans une serviette usée pour éviter qu'ils ne gouttent, puis je descends rejoindre les parents.

☆☆☆

J'ouvre lentement les yeux au son du réveil. Je ne suis pas vraiment reposé, loin de là;  mon cerveau est comme...de l'argile molle. Pas du tout opérationnel.

Faute de choix, je grogne en repoussant mollement ma couverture en laine rêche. Je suis tout de suite enveloppé par le froid stagnant dans ma chambre. Il n'y a malheureusement plus de chauffage, depuis le Carnage. Une vraie plaie. Frissonnant, je me lève et m'habille. Je me rince la figure pour me réveiller, descends, mange deux farines de beurre et miel, me brosse les dents.

La routine.

Le ciel est couvert, l'air sec et glacial. Sur le chemin de l'école - que je fais seul, par flemme d'attendre Mino -, je réfléchis aux cadeaux de noël. J'ai pour habitude de ne rien acheter, quand je fais des cadeaux. D'une part parce que je n'en ai pas l'argent, et d'autre part parce que un cadeau fait par soi-même est toujours plus agréable à recevoir. Comme ça, je peux offrir une babiole faites de deux bâtons et un peu de colle, tout le monde est content.

Je souris, seul sur la route. J'exagère, bien sûr. Mes cadeaux sont quand même un peu plus sophistiqués que ça. Mais imaginez, si j'offrais réellement quelque chose dans ce genre, la tête de la personne !

Donc. Pour Papa, je pourrais faire un étui pour son canif. Je n'ai pas d'autre idée. Je n'en ai jamais. C'est trop dur, il n'aime rien à part Maman, et moi accessoirement. Et encore. Mais surtout, il n'a besoin de rien. Donc cela suffira.

Pour Maman...? Que vais-je lui faire... des pots pour ses pinceaux, elle en a déjà des tonnes, des pinceaux eux-mêmes, n'en parlons même pas. De la peinture, c'est encore pire ! Un tablier, peut-être... pour noël? Non, c'est un peu triste... Oh! Je sais !
Un collier. Ça, étrangement, elle n'en a pas beaucoup. Ce n'est pas pratique, apparemment. Mais je pourrais lui en faire un léger. Petit. Avec un petit pendentif... un pinceau ! Pour changer.

Oh, Oui, ça va lui plaire.

Et avec Mino, on va s'organiser un goûter dans la pinède. Comme tous les ans. Cela peut avoir l'air stupide, mais j'aime bien ce moment, et je sais que lui aussi. Même si, bien entendu, il n'en laisse rien paraître. Quel cadeau serait meilleur qu'un bon goûter ?

Lorsque j'arrive dans la cour, je sens quelqu'un me coller une grosse claque dans le dos. Du genre à t'envoyer sur Mars. Avant même de le voir, je sais que c'est Mino. Je lui lance un regard noir auquel il répond par un sourire carnassier:

- Pour ne pas m'avoir attendu ce matin, fils de pute. Et pour ne pas avoir compris de tout le voyage jusqu'ici que j'étais à moins d'une échelle derrière toi.

- Hein?

Je le regarde, incrédule. Il etait derrière moi?

☆☆☆

En rentrant chez moi, je fais quelques devoirs de dernière minute, le linge et la vaisselle, puis en reviens à mon cahier. Dedans, j'écris un rapide résumé de ce que j'ai appris hier sur les esprits, dans la bibliothèque, sous la date correspondante, soit « 14 de diciembre de  2134».

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant