30. Distribution

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Nous avons évidemment pris le métro pour parvenir à Sol. Une fois sur place, Mino et moi abandonnons nos parents sur les bords de la dense foule pour nous y frayer à coups de coudes. Notre objectif: les tableaux indiquant comment et où récupérer notre matériel. 

Nous croisons nombre de visages familiers, mais n'avons ni le temps ni, moi du moins, l'envie de les saluer. Une fois proche du but, je dois me mettre sur la pointe des pieds en m'appuyant lourdement sur l'épaule de mon ami pour parvenir à discerner les instructions. Nous sommes classés par noms de famille.

« NOMS COMMENCANT PAR A, B, C: TABLE 1

NOMS COMMENCANT PAR D, E, F, G: TABLE 2 »

Et ainsi de suite.

Je grogne mon mécontentement en remarquant que mon ami et moi ne sommes pas à la même table.

Je lui crie l'information par-dessus la foule, car si moi j'ai eu du mal à voir quelque chose, lui n'a rien pu discerner du tout. 

Mino hoche la tête et nous nous dirigeons vers nos tables respectives en faisant signe à nos parents de nous suivre. J'arrive à côté de mon père lorsque celui-ci atteint l'arrière de l'imposante queue. Je retiens un soupir exaspéré en voyant la quantité de gens qui s'étend entre nous et notre but. Il va falloir s'armer de patience. Mon père croise les bras et tape le sol du pied, le visage fermé. 

Heureusement, cela avance relativement vite, et en un quart d'heure nous arrivons devant trois militaires. L'une d'entre elles nous fait signe de s'approcher.

— Ton nom et prénom, me demande-t-elle sans préambule. 

— Santiago Delalma. 

Elle cherche sur une liste de son Recopilatorio, raye mon nom dessus, me demande mon poignet gauche. Je le tends, elle scanne le tatouage, puis pose un énorme sac de voyage sous nos yeux. Elle nous demande de signer chacun notre tour sur son outil, et nous vire d'un geste de la main. 

Bon, au moins, c'était rapide. 

Nous nous frayons un passage jusqu'aux marches de la mairie. Chose difficile considérant l'espace important que prend le sac pendant à mon épaule. Une fois là-bas, je laisse tomber mon fardeau sur le marbre et m'assieds dessus. Papa vient s'installer à côté de moi. 

— On va bientôt plus te voir, toi, me fait-il avec un sourire. Ça nous fera des vacances. 

Je lui mets une tapette sur le bras. 

— Oui, franchement, je ne vais pas m'en plaindre. Ne plus vous entendre, enfin...

Il secoue la tête et le silence retombe. Quelques minutes plus tard, Mino fend la mer de gens et atterrit devant moi, les yeux alertes, suivi de sa mère. Il lâche son sac d'un soupir et marmonne:

— Mais qu'est-ce qu'ils bien foutu dans ce truc ?

J'esquisse un sourire féroce:

— Ma bite. 

Il me regarde de haut en bas, une étincelle amusée dans le regard, faussement méprisant:

— Clairement pas, non. 

Je ris. Soudain, Ainara apparaît devant moi. Elle a l'air frêle, le regard fuyant, la tête tournant de gauche à droite. 

— Euh... coucou. 

Elle m'offre un sourire crispé et me répond d'un "salut" tendu. Mais qu'est-ce qui lui arrive? 

Derrière elle émerge alors un titan. Grand, large d'épaules, musclé, blanc comme neige, cheveux encore plus clairs, yeux couleur glace. Il ne regarde pas dans ma direction, mais je me sens tout de même écrasé par sa présence. Je me lève, tentant de remédier à ce sentiment. Évidemment, ça ne change pas grand-chose. 

— Comment vous vous êtes retrouvés ? fais-je aux deux tourtereaux pour me changer les idées. 

— On était dans la même file. Aleksander et Ainara étaient un peu devant nous. 

— Aleksander?

— Mon père, répond cette fois Ainara. 

Puis, elle jette un oeil derrière elle et hoche la tête dans cette direction.

— Ce gars-là.

Je tente du mieux que je le peux de ne pas afficher ma surprise, mais je pense que c'est encore raté. 

Ce frigo, c'est le père d'Ainara? 

Je croise son regard, et le fuis rapidement, un frisson me parcourant la colonne vertébrale. Ce doit être une blague...

Je me tourne vers Mino, choqué. Ce dernier se contente de hausser nonchalamment les épaules et de déclarer :

— Il est norvégien. 

Comme si ça expliquait tout. Merci, génie. 

— Bonjour, glapis-je donc en direction du géant. 

Celui-ci ne répond pas, me scrutant de la tête aux pieds comme si j'étais un insecte d'une espèce rare et absolument fascinante. Son examen commence à me mettre très mal à l'aise quand Ainara soupire et se tourne vers lui:

— Vil du ikke rote med det mens du holder på?

Là, c'en est trop, je ne peux m'empêcher d'ouvrir les yeux comme des soucoupes.

— Vidou quoi???

Frigo répond quelque chose de tout aussi incompréhensible et agressif à sa fille. J'ai l'impression qu'ils s'égorgent en parlant. 

— Ne fais pas attention à lui, me répond finalement Ainara. C'est juste un norvégien prétentieux. 

Je fronce les sourcils face à cette remarque peu élogieuse, craintif et curieux à la fois de voir la réaction de Frigo. À ma profonde déception, il se contente de lever les yeux au ciel. Peut-être ne comprend-il pas l'espagnol...

— Je ne suis pas prétentieux, et à ta place, je me parlerais autrement. À moins que tu ne tiennes absolument à nettoyer tout l'appartement en rentrant. 

Ah. Ben si, visiblement. 

— Parce que tu te parles, toi? sourit Ainara avec arrogance. 

— Tu veux cirer le parquet? 

Elle gémit de mécontentement. 

Je dois retenir un sourire face à l'échange. Les menaces de Frigo sont quelque peu... particulières. Mais extrêmement efficaces. Qui aurait envie de cirer le parquet? 

— Bonjour, me fait-il enfin. 

Je cligne des yeux, oubliant le contexte. Ah, oui. Je l'avais salué en premier, c'est vrai. Waouh, il est un peu long à la détente, Frigo. Je lui réponds d'un hochement de tête, ne sachant que faire d'autre, tandis que son regard me transperce aussi efficacement que ce que l'aurait fait une lame. 

—...ça te va? 

Je me tourne vers Mino.

— Hein?

Malgré son visage éternellement impassible, ses yeux s'illuminent d'un sourire. 

— Ainara nous invite à passer l'aprèm ensemble.

— Ah. Euh, oui, pourquoi pas. 

Il secoue la tête dans un "Santi, Santi, Santi..." silencieux. 

— Vous rentrez avant 17h30, s'interpose Papa. 

Je le regarde, gêné. 

— Oui, Papa. 

Il me regarde avec sérieux, dans un clair "Ne me déçois pas, cette fois.". Je hoche presque imperceptiblement la tête. 

Nous saluons nos parents et nous jetons dans la mêlée pour atteindre la bouche de métro.


Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant