Je suis sous un choc entier et total, rien de plus qu'adrénaline et instinct de survie. Avant de me rendre compte de ce que je fais, je prends les jambes à mon cou et me lance vers la Plaza Mayor. Nous la traversons à un train d'enfer. J'entends loin derrière nous les assaillants grogner et bouger, se dire quelque chose que je suis bien trop stressé pour comprendre. Nous ne freinons qu'en arrivant devant le grand battant en verre de la RBA, y entrons comme des furies.
Quand la chaleur de l'intérieur nous assaille et que nous nous arrêtons enfin, haletants, j'ai l'impression de me prendre une douche froide. Tout s'est passé tellement vite, c'est flou dans ma mémoire, je n'arrive pas à mettre en ordre chronologique toutes les horreurs que nous venons de témoigner. Mon coeur bat, bat, bat à fond, je ne sens plus que ça, plus que la respiration hachée de mes deux amis, plus que le tremblement qui m'empêche de me maintenir debout plus longtemps. Je me laisse tomber à genoux. Mes deux amis me suivent, et un lourd silence nous engloutit. Les bruits de la bibliothèque semblent lointains, derrière une paroi de glace. Un homme s'approche de nous. Tous et chacun de mes muscles se tendent, avant de protester contre la fatigue qui m'envahit.
— Tout va bien? Ainara, qu'est-ce qu'il se passe?
Je la vois inspirer profondément, secouer la tête et se lever tout doucement, comme pour tester la stabilité de ses jambes. Je ne peux m'empêcher d'admirer sa capacité à le faire. Je pense que je vais rester longtemps par terre, moi.
— On s'est fait attaquer, fait-elle dans un filet de voix.
Le visage de l'homme se vide de toute couleur. Il se trouve à deux ou trois d'Ainara, mais il franchit cet espace en à peine une seconde pour la prendre par les épaules. Il la regarde de haut en bas, visiblement en train de chercher une blessure quelconque. Lorsqu'il remarque — en même temps que moi — le sang coagulé dans ses cheveux décoiffés, à l'arrière de sa tête, ses yeux s'agrandissent de panique.
— Ce n'est pas mon sang, le rassure-t-elle.
Elle nous observe rapidement, puis déclare d'une voix plus stable:
— Personne n'est blessé. Tout va bien.
Tout va bien.
Je sens qu'elle a dit ces mots plus pour se rassurer elle-même et nous que l'homme. Je permets à la phrase de se frayer un passage dans le chaos ambiant dans mon cerveau, expire, tremblotant.
Mino, à côté d'Ainara, se lève tout aussi lentement, puis l'attire dans ses bras. Je reste stupéfait malgré la situation. Il va vraiment, vraiment falloir qu'il accepte qu'il l'aime. Ça va le bouffer de l'intérieur, sinon.
— Qui? Il étaient combien?
Je me tourne vers le monsieur, surpris. Il est encore là, lui?
Je me passe une main froide et tremblante dans les cheveux. Le fou qui prend Ainara... Mino qui...
Non. Stop. Arrête.
Ainara semble abandonner ce qu'il lui restait de contrôle et s'effondre dans les bras de mon ami. Je le vois parce qu'elle enfouit son visage dans son cou et il titube soudainement. Elle me tourne le dos, et Mino a posé son menton sur le sommet de son crâne. Je lui lance un regard perturbé. Il pince les lèvres et nie presque imperceptiblement avec la tête.
— Tout va bien, je répète à voix haute.
Je ne sais pas combien de temps s'écoule, mais Mino finit par soupirer et repousser avec une douceur que je ne lui ai jamais vu Ainara. Je me rends compte avec douleur que je ne refuserais pas un câlin, moi non plus.
Je pousse violemment cette pensée, et utilise ma claque mentale pour rassembler les forces nécessaires pour me lever. J'entends Mino dire à notre amie:
— T'as été incroyable, dehors. On s'en serait jamais sortis, sans toi.
— Oui, j'approuve. Merci, Ainara.
Elle lève des yeux humides et nous sourit d'un geste déchirant.
Je croise le regard froid mais perturbé de Mino. Il se racle la gorge, puis déclare:
— On doit rentrer. Le plus tôt, le mieux.
Un frisson glacé parcourt mon dos. Je n'ai absolument aucune envie de retourner dehors.
— Moi non plus, marmonne Mino, lisant dans mes pensées. Mais on n'a pas le choix.
— Vous pouvez pas y retourner, proteste Ainara. Vous pensez que ça ira?
— Il le faudra bien, je grogne en regardant à travers la porte, dans la rue. Il n'y a personne, mais le soleil n'est pas encore entièrement couché. Il y a encore un tout petit peu de lumière.
Je me tourne et étreins Ainara, profitant silencieusement d'un contact humain sûr. Puis Mino fait de même, et nous nous dirigeons vers la sortie.
Ainara nous tient la porte et nous regarde partir.
— Faites attention, les gars. S'il vous plaît.
La façon de laquelle elle a dit le "S'il vous plaît" fait tout le contraire de me rassurer.
— On se voit au SMOJE, salue notre ami.
Nous sortons dans l'air gelé. Nous nous dirigeons vers la station de la Plaza Mayor rapidement, les snes en alerte, les poings préparés à nos côtés.
Arrivés là-bas, je me tourne vers la bibliothèque, et vois à travers la vitre une silhouette debout au milieu du va-et-vient d'employés s'activant pour la fermeture. Je ne peux m'empêcher de sourire légèrement, le geste me faisant mal. Mino lui fait un geste de la main. Malgré l'obscurité et la distance, Ainara le voit et le lui rend.Puis, nous lui tournons le dos et rentrons à la maison.
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Atocha TI - Digne de Vivre
Science Fiction[~SF•Fantaisie•Romance~] Suite à une expérience étrange dans l'ancienne gare d'Atocha, Santiago Delalma cherche à en savoir le plus possible sur cette gare, et tombe ainsi sur une jeune fille, son ancêtre morte 100 ans plus tôt. Avec l'aide de ses d...