Sur le chemin du retour, direction le Bloc, la tension croît perceptiblement. D'autant plus que nous croisons bon nombre de personnes devenues chauves, principalement des garçons. Devant le bâtiment, la queue a considérablement diminué, mais nous restons tout de même une dizaine de minutes — qui passent comme des années — debout avant d'arriver sur le pas de la porte.
Je sens une boule dans mon estomac, mes mains tremblent incontrôlablement.
Ainara et Luz nous ont quittées peu de temps après s'être retrouvés dans la queue du Bloc, car Ainara a les cheveux longs et a été interpellée pour remplacer l'un des coiffeurs improvisés. Luz était tout aussi nerveuse que nous; elle aussi aura droit à la nouvelle coupe.
— Ne vous en faites pas, les gens, a fait Ainara en voyant notre état. Je vous aimerai même avec les cheveux courts.
Ces mots n'auraient clairement pas dû me rassurer autant qu'ils l'ont fait, mais il en fut ainsi.
— PROCHAIN! hurle un soldat, me ramenant à la réalité.
Je refuse de penser tandis que je passe le seuil de la double porte. Mes pensées et émotions sont à nouveau enfermées avec soin dans la partie obscure et profonde de mon cœur.
Une quarantaine de chaises pliables sont installées en rangées organisées. Il y a des cheveux et des seaux partout par terre, un coiffeur et un coiffé par chaise. Une fille vient de finir son travail, et tandis que son cobaye quitte la pièce en se frottant la tête à présent nue, elle lève des yeux fatigués vers la foule qui s'amasse derrière moi. Je la vois soupirer bruyamment avant de croiser son regard. Elle me fait alors signe de venir, et je sens mon cœur s'écraser contre ma cage thoracique à chaque battement.
Sur le chemin, mes yeux se promènent dans la pièce, et dévient immédiatement vers une silhouette que je ne connais que trop bien. Ainara s'attèle dos à moi, sur ma droite, aux cheveux d'un garçon que je n'ai jamais vu auparavant.
J'arrive devant mon bourreau, qui me salue d'un hochement sec de la tête que j'imite, et je m'installe devant elle.
Pour ce qui est de la suite, je ne m'en souviens que mal. Je pense que mon cerveau a refusé d'enregistrer ce souvenir, à présent flou dans ma mémoire. Tout ce que je sais, c'est que je fuis maintenant d'un pas que je veux mesuré la pièce. Je sens le froid mordre la peau à présent nue de mon crâne.
Jamais je ne m'étais rendu compte de à quel point le cheveux tiennent chaud.
Je refuse de croiser les regards des personnes qui sont sur mon chemin, maintiens la tête haute dans une tentative échouée de calme. Je sens mon cœur remonter lente mais inexorablement dans ma gorge.
J'arrive tendu comme un arc dans le dortoir, cherchant un semblant d'intimité. C'était sans compter que nous sommes cinquante à dormir dans la même chambre.
Quand j'arrive, ça grouille comme dans une ruche. En entrant dans la chambre, tous les yeux se rivent sur moi. Je sens le contrôle m'échapper, n'arrivant soudainement plus à respirer. Mon coeur bat deux fois plus fort que la normale, et semble remonter peu à peu ma gorge Il me fait mal.
Les larmes me piquent les yeux. Je tente de toutes mes forces de les repousser en battant des cils. Cela me fait plus mal qu'autre chose.
Je me retourne et descends les marches quatre à quatre. Le bloc sanitaire se rapproche tandis que je me rue sur lui, suffoquant.
Calme-toi, Mino, calme-toi, je tente en vain. Ce ne sont que des cheveux, putain !
Quand j'arrive dans la pièce aux lavabos, je suis sur le point de tout lâcher, prêt à m'effondrer lorsque je remarque que plusieurs hommes se trouvent déjà là, observant leurs nouvelles coupes dans le miroir.
Je cède à la panique.
Non, non, non. Non.
Dans un dernier élan, je parviens à m'enfermer dans une cabine de toilettes du couloir adjacent. Je claque la porte derrière moi, puis m'y adosse et y appuie la tête. Je ferme très fort les yeux, pour empêcher aux larmes de couler. Je les sens piquer mes paupières, les prier de s'ouvrir, mais je tiens bon et les laisse couler dans mon âme plutôt que sur mon visage.
Je ne peux pas pleurer. Je ne vais pas pleurer. Pas ici, pas maintenant, et certainement pas pour ça.
Je me passe une main dans les cheveux pour me calmer, mais ne trouve que du dur cuir chevelu. J'expire une respiration tremblante, invoque le souvenir de mon père. Aussi douloureux soit-il, c'est le seul moyen que j'ai pour retrouver un rythme de respiration régulier.
Respire.
J'inspire profondément, relâche doucement, répète le processus. Le poing qui enserre ma poitrine me fait mal avant de se détendre peu à peu. Quand j'ai enfin un semblant de respiration stable, je m'interdis de perdre à nouveau mes moyens d'une façon aussi ridicule, je me répète que je suis plus fort que ça et j'ouvre les yeux. Voyant que je ne risque plus de me mettre à pleurer sur le carrelage, j'inspire une dernière fois, prie à Dieu qu'il me pardonne une telle faiblesse et qu'il m'aide à retrouver ma force, et j'ouvre la porte.
Et, honnêtement, je m'étais attendu à tout, sauf à retrouver Santi appuyé avec une épaule contre le mur du couloir, les sourcils froncés dans ma direction.
Je m'arrête sur-le-champ.
— Ça va pas de me larguer comme ça? Je t'ai appelé, fils de pute, mais t'as juste couru. Tu sais, moi aussi j'ai peur de mon reflet.
Je hausse les sourcils et observe ses traits. Il a l'air préoccupé, mais clairement pas autant que moi par son aspect présent. Je ne peux m'empêcher de regretter ses cheveux soyeux. Il n'a vraiment pas une tête à être chauve, le pauvre. Je tente un sourire moqueur:
— Oh, on a peur de son reflet maintenant ? Pauvre Santi, vraiment. Je suis désolé pour toi.
Il lève les yeux au ciel. Le message silencieux est passé entre nous; son accusation était la chose la plus proche à un « Ça va? » qu'un ami se permettra envers un autre, et ma réponse sarcastique signifie que ça ira. C'est faux, mais pour l'instant ça devra le faire.
Je l'observe, me rendant soudain compte qu'il a les oreilles assez décollées pour ressembler à un elfe, actuellement parlant. Je souris tristement.
— C'est bon, lâche le morceau, me ronchonne-t-il.
— Tu ressembles à un elfe, je ris.
Il me fait un doigt d'honneur et se retourne pour aller vers la pièce des lavabos. Des miroirs.
Je me raidis avant de le suivre. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Santi me devance et se place devant son reflet, les mains sur les bords du lavabo. Son expression est soigneusement fermée et froide, chose qui m'indique qu'il n'aime pas le résultat. Puis son regard se dévie vers moi dans la glace, et il me fait signe de venir le rejoindre.
Mes jambes refusent de bouger. Tout en moi crie de ne pas me regarder, mais j'inspire profondément avant de me forcer à avancer.
Quand je vois mon reflet, une sensation très étrange me parcourt de haut en bas. Une personne inconnue me rend le regard. Une personne qui, honnêtement, ressemble à un extraterrestre. Mon souffle reste bloqué dans ma poitrine en voyant mon visage.
Mes traits se sont durcis avec la puberté et la mort de mon père. Mais avec cette nouvelle coupe, ils semblent faits de marbre, coupés au couteau. Mon regard semble s'être aiguisé et transperce tout ce qu'il croise.
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Atocha TI - Digne de Vivre
Ciencia Ficción[~SF•Fantaisie•Romance~] Suite à une expérience étrange dans l'ancienne gare d'Atocha, Santiago Delalma cherche à en savoir le plus possible sur cette gare, et tombe ainsi sur une jeune fille, son ancêtre morte 100 ans plus tôt. Avec l'aide de ses d...