6.Une petite citrouille

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Le métro arrive plutôt vite. Tant mieux. Je n'aime pas l'avouer, mais je dois dire que je ne me sens vraiment pas tranquille d'être tous deux seuls dehors de nuit.

Dans le véhicule, Mino et moi restons debout, se tenant aux barres bleues pour ne pas perdre l'équilibre. Non pas qu'il manque de place pour s'asseoir, je préfère juste être debout. Par instinct.

Le train est pratiquement vide. Dans notre vagon, il n'y a que nous, un homme aux cheveux longs endormi, et une vieille dame aux yeux nébuleux, qui se marmonne des choses inintelligibles à elle-même. Elle ne doit visiblement pas avoir toute sa tête, mais ne semble pas représenter de potentiel danger. Au moins, elle ne décolle pas les fesses de son siège.

Je croise le regard de Mino, qui frissonne. Nous n'avons pipé mot depuis notre arrivée dans le métro, sur nos gardes.

Nous sommes dans le train depuis près de dix minutes, et avons passé environ cinq arrêts sans dommages, quand nous nous arrêtons à deux stations de celle où nous devons descendre. Et c'est alors qu'un homme rentre. Il se déplace d'une drôle de manière, je ne saurais dire pourquoi. Mais quelque chose dans sa démarche cloche. Il se déplace lentement, mais inébranlablement.

Je sens comme chaque nanomètre carré de mon corps se tend à en faire mal. Je ne sais si c'est cette démarche singulière qui me cause cette angoisse, mais je sais que quelque chose ne tourne pas rond chez ce gaillard. Pourtant, il a un aspect très normal, et ne nous accorde même pas un regard en rentrant.

Pas nous, je supplie mentalement. Pas nous, pas nous, pas nous. S'il te plaît.

Je sens de la sueur couler le long de ma colonne vertébrale, jusque dans mes reins, lorsqu'il s'assoit devant nous. Toujours sans nous regarder.

Calme-toi, Santi, me dis-je. Si ça se trouve, t'es juste parano, et ce mec a autant peur de toi que toi de lui.

J'ai froid. Terriblement froid. Et ce n'est pas à cause de la température ambiante. Je transpire comme un cheval de trait, mais je tremble de froid. La plus horrible des sensations.

Mais bon sang, comment c'est possible que cet homme me panique à ce point? Il n'a strictement rien fait. Mais lorsque je jette un oeil a Mino, je m'aperçois qu'il est dans le même état que moi.

Et nous restons dans cet état pendant les cinq minutes suivantes. Les plus longues minutes de ma vie. Mes muscles sont bandés à en faire mal, et nous ne lâchons l'homme du regard. C'est à peine si j'ai cligné des yeux.

Il n'a pas bougé. Somnolant, la tête appuyée contre le mur à sa droite. Il est calme. Ou le semble.

Quand notre arrêt arrive enfin, j'inspire fortement, me rendant compte que je respirais à peine. On y est. Presque.

Mino sort avant moi. Ou plutôt, il se jette dehors avant moi. Je vais le suivre lorsqu'une main me retient par le bras avec une poigne de fer. Jamais je n'avais réalisé à quel point cette expression est juste. Une poigne de fer. Ben, là, si. Je comprends.

Ma tension était légèrement retombée. Mais à ce moment-là, elle revient au triple galop. Je le sais. Avant même de me retourner, je sais que c'est lui. Le gars qui "somnolait".

Je me retourne violemment, et je découvre avec horreur que j'ai vu juste. Sauf que l'homme est debout, maintenant, et me sourit d'une manière atroce. Je suis saisi d'un violent tremblement, mort de peur.

Avant que je ne puisse réagir, il me tire brutalement vers lui, et me susurre à l'oreille, dans un espagnol peine compréhensible:

- Je crois que t'as oublié quelque chose.

Atocha TI - Digne de VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant