15- Tendresse et distance

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Ariane

"Pourquoi avoir peur du bonheur ?"
De Virginie Despentes


— Je crois que je suis fichu !
— Steve, arrête de faire ta Drama Queen ! lui lançai-je à l'autre bout de l'écran, tandis qu'il se ventilait le visage de ses doigts manucurés.
— Moi ? Non, mais tu n'imagines pas, cette chieuse veut une remise !

Apparemment, sa mariée, celle-là même avec qui, à la fête, il avait batifolé avec Djemel dans un placard, a eu vent de l'histoire. Madame réclame une remise, argumentant que son dessert est arrivé à minuit cinq au lieu de minuit pile, et s'exclame : « Vous avez préféré le témoin à ma personne, moi qui vous paie ! » C'est un autre débat, et je n'ai pas la force mentale pour cela. Une migraine annonciatrice de mes menstruations me plombe. Heureusement, je suis en télétravail à l'appartement.

— Et elle m'a mis un commentaire blessant sur les réseaux, sanglote-t-il encore.
— Fais-lui sa remise, pardi ! déglutis-je, complètement épuisée par cette conversation qui n'en finit plus. Bae, elle te l'enverra si tu lui fais un prix, c'est bien ce qu'elle t'a proposé comme deal !
— C'est du chantage !
— Alors réponds-lui en tournant la situation à ton avantage, elle est capricieuse et toi, tu as été débordé...

Après un long sanglot, mon drama préféré trouve enfin comment rédiger sa réponse et s'intéresse un peu à moi. Je lui raconte mon dimanche à Montmartre et surtout la phase de discussion "ouverture de mon cœur" avec Mo.

— Vraiment ? s'étonne-t-il en mode excès.
— Oui, je me sens bien avec lui, et puis abattre mes barrières avec lui, c'est un essai pour réussir quand je rencontrerai le bon.

Jusque-là, Steve est le seul homme à qui je m'ouvre complètement, mon Best Friend Forever.

— Lui et moi, c'est l'éclate, mais je vais bientôt rentrer, terminé-je avec un pincement au cœur.
— Attends, cette peau de vache m'a répondu, change-t-il de sujet.
— Excuse-moi, on disait quoi déjà ? Tu rentres bientôt et tu vas laisser Apollon à Paris... Tu sais que tu risques de le revoir, si Raph se marie avec Marine ?

Je n'avais pas pensé à cette éventualité, et pourtant, les deux tourtereaux sont voués à cela.

— Raison de plus.

Le décoloré à l'autre bout du FaceTime ne semble pas trop convaincu, mais je change vite de sujet et raccroche en protestant d'avoir du travail. J'avale une aspirine, me fourre sur le canapé tout enveloppé d'un plaid et rajoute mon ordi portable pour bosser.

Ma vie serait tellement plus calme sans Steve, mais tellement plus triste. Il est le seul qui arrive à me faire oublier mes soucis, à qui j'ai envie de raconter ma vie et mes angoisses. Il a toujours été là, mais avec Mo au restaurant, je me suis sentie à l'aise. Peut-être plus que je l'aurais imaginé. Est-ce dû à notre balade main dans la main, à l'atmosphère si romantique des lieux... Je ne sais pas, mais j'ai senti que c'était important que je lui ouvre mon cœur. Il pouvait me juger ou me donner une leçon de vie comme certains l'ont déjà fait, mais non, Mo, lui, s'est contenté de m'écouter et a joué les traits de l'humour et de la légèreté comme il sait si bien le faire. Il était tendre et attentionné, parlant de mon enfance chaotique avec une mère qui essaye tant bien que mal de joindre les deux bouts pour nourrir sa fille, sans mari pour la soutenir. Voilà certainement pourquoi je ne trouve que des hommes non disponibles. Oui, mon ex n'est pas l'exception car les autres, n'étant pas forcément mariés, étaient soit absorbés par leurs études ou par le sport. Et puis Steve, l'homme de ma vie, est gay, donc d'une certaine façon, lui aussi est indisponible. Je n'ai pas de figure de couple, excepté celui de ma tante. Mon oncle est un acharné du travail comme moi, d'ailleurs, il n'est pas franchement plus disponible pour elle.

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