Chapitre 7 : 12 mai 1978 - Cinisi (Sicile), la poursuite

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Alessa Lombardi⁠ était seule au milieu des oliviers dans le vallon. La rivière était à sec. Devant elle, à un kilomètre, la ville de Cinisi. Derrière elle, la combe se rétrécissait jusqu'à une pente abrupte. Elle en revenait. Sur sa droite, le versant était assez raide, comme les champs d'oliviers de Corfou où petite elle passait les vacances avec ses parents. Sur sa gauche, le coteau était en pente douce.

Les élections municipales avaient eu lieu la semaine précédente avec un score étrange. Peppino Impastato avait été élu alors que tous savaient qu'il venait d'être assassiné. Le message populaire à Cosa nostra était limpide.

Alessa prenait quelques photos pour mémoriser le site pour ses articles. D'après ce qu'on lui avait dit en ville, ce devait être à cet endroit que le père de Peppino Impastato s'était fait trucider une année avant.

« Pas un endroit pour un meurtre, se dit-elle. Paisible, charmant, bucolique même. »

Elle détestait ça, adolescente, son père l'avait souvent emmenée à la chasse. Il espérait qu'elle y mordrait comme lui. Ce fut cette expérience qui l'alerta. À l'aller, les oiseaux gazouillaient. À présent, c'était silencieux.

« Il y a eu crime ici. Les deux Impastato se sont fait tuer. Ce n'est pas abstrait. Moi, je suis journaliste et je fouille leur merde. »

Elle sentit le danger. Palpable. Une poix, soudain qui descendait le long de sa colonne vertébrale. C'était étrange cet instinct ancestral de la proie. Elle s'étendit doucement dans l'herbe sèche et rare.

« Si on me tire dessus, ça ne vaut rien comme protection, pensa-t-elle. »

Une détonation retentit à ce moment. Une fraction de seconde après, une branchette tomba, puis une pluie d'olives vertes frappa le sol alentour. « Chevrotine, dévastateur mais pas précis. »

Elle se glissa derrière un olivier massif qui masquait le sommet de la côte. Derrière se trouvaient beaucoup d'arbres. « Le tireur doit être côté pente douce, il a plus de visibilité pour me tirer dessus. »

Un deuxième impact frôla sa cheville. Elle se pelotonna derrière le gros tronc. 

« Bon, ça vient bien de ce côté, c'est déjà ça. S'ils sont deux, je suis cuite. Je ne peux pas rester là. Un ou deux, peu importe, ma seule chance, c'est la technique du lièvre. À toute vitesse en zigzag. » 

Elle était étrangement calme et lucide et bizarrement, elle s'en rendait compte. Elle était encore imprégnée du thriller Marathon Man vu au cinéma. Dustin Hofmann parvenait à y distancer des tueurs en courant. Son unique atout. « Moi aussi, c'est ma force. Avec l'entraînement que j'ai, je vais semer ce salopard. Allez ! Vas-y ma grande ! Fonce ! » Abandonnant son reflex, elle se leva d'un bond et entama sa course en direction de la ville, zigzagant entre les oliviers, sautant par-dessus les souches et les pierres. Elle entendit les coups de feu, mais ne s'en soucia pas. Elle entendit le bruit des branches hachées par les balles, mais ne s'arrêta pas, poursuivant sa tactique de fuite rapide en zigzag. 

On ne tirait plus maintenant. Le vallon s'était évasé. La forêt touchait à sa fin. Devant, c'était des champs. À perte de vue. Un chemin de terre les départageait. Dessus, elle pourrait courir plus vite, mais elle serait totalement à découvert. Elle jeta un oeil par-dessus son épaule. Deux hommes. Jeunes. Minces.

 « Mince, se dit-elle, si c'étaient des petits gros, ce serait plus facile. Avec de la chance, ils vont tirer la langue. »

 Elle se lança sur le chemin et accéléra de toutes ses forces. Elle n'avait aucun problème de souffle. 

« Merde, pensa-t-elle, cette putain de ville est bien plus loin que je le croyais. Je ne vois rien. Aucun clocher, rien que des champs. Et personne. » 

Derrière elle, le premier des deux hommes s'était déjà engagé sur le chemin. Il avait un fusil à la main. Le second était distancé. Il n'avait pas encore émergé de la forêt d'oliviers. 

« Il ne peut pas courir et tirer en même temps. S'il choisit de tirer, il doit s'arrêter et je le sème. S'il continue à courir, je creuse l'écart. » 

Mais il continuait à courir et l'écart ne se creusait pas. Il semblait même se rapprocher. 

« Deux cents mètres, évalua-t-elle sur un coup d'oeil en arrière. »

Elle poussa encore son rythme. Elle était échauffée maintenant et ça allait de mieux en mieux. 

« S'il tient la cadence, je suis tombée sur le champion de course de Sicile ! »

 Une pointe émergea de l'horizon, la première église de la ville. 


« Si j'y arrive, je ne serai pas plus en sécurité qu'ici. Il me faut un plan. L'église ? Ils ne respectent rien. S'ils ne me trucident pas dedans, ils m'attendront à l'extérieur. Et j'y serais piégée. Ma bagnole, elle est où ? À côté du café principal, sur la grand-place. Mes clés ? Là, dans ma poche. »

Les premières maisons étaient toutes proches maintenant. Mais sur sa droite, un homme au loin accourait d'équerre à sa route. Pour la lui couper.

« Comment est-ce qu'ils se passent le mot ? La radio, bien sûr ! L'autre derrière, celui qu'on ne voit plus qui a sonné l'alerte. » 

Elle obliqua sur sa gauche à travers champs. Elle allait moins vite. Mais l'homme de droite aussi était dans un champ. Celui de derrière était légèrement distancé. À 300 ou 400 mètres peut-être. Elle sautait de sillon en sillon. La terre était dure et sèche et tenait bien sous ses pas. 

« Heureusement que je n'ai pas mis des escarpins aujourd'hui », se dit-elle en riant, s'étonnant de pouvoir encore plaisanter avec elle-même.

Quand elle dépassa la première maison pour s'engager dans une rue asphaltée, ses deux poursuivants étaient assez loin. Le second, celui qui avait surgi de traverse, était le plus près. Devant elle, très au loin, elle distinguait la mer. Elle ne parviendrait jamais à déverrouiller la serrure, à ouvrir la porte, à s'asseoir, à refermer la portière, à enfiler la clé, à allumer le moteur et à démarrer. Il aurait tout le temps d'ajuster sa pétoire et de la cribler de balles. Elle courait, elle courait encore. Elle était essoufflée à présent et peinait à trouver une solution.

 Elle était essoufflée à présent et peinait à trouver une solution

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(image IA Midjourney, oct. 24)

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant