Chapitre 4 - 1977, Albino et Vittorio

41 5 19
                                    




mai 1977 - Venise

Le cardinal Albino Luciani, archevêque de Venise, serra son neveu Vittorio Petri dans ses bras.

– Quelle joie de t'accueillir, quelles nouvelles m'apportes-tu de Rome ? Tu as l'air en pleine forme. Tu ne souffres plus dis-moi ?

– Non, mon oncle, lui répondit Vittorio, heureux de retrouver ce parent souriant, simple et chaleureux malgré ses hautes fonctions. Je suis guéri. Grâce à ton soutien, à ton affection.

– Tu t'en serais tiré sans moi, ne dis pas de bêtises ! Si nous allions au Lido, on peut y louer des vélos. On pourrait s'arrêter dans une gargote.

– Volontiers. À Rome, c'est difficile de s'échapper dans la nature.

Albino Luciani se débarrassa de sa soutane, se mit en shorts et chemise. Ils partirent prendre le vaporetto.

– Et ton amie Nancy, elle s'adapte à la vie romaine ?

– Bien, et elle aime son travail. Nous sommes heureux de nous être retrouvés.

– Tu vois la lumière, comme elle joue sur les vaguelettes ? Ah, on arrive. Tu viens ?

Ils pédalèrent en direction de Chioggia. À l'extrémité du Lido, ils s'embarquèrent sur un vaporetto. À l'Albergo di Chioggia, l'espadon était particulièrement bien préparé.

– Tu es toujours content de ton travail, demanda Albino à Vittorio au café ?

– Oui et je te suis reconnaissant de m'avoir introduit à l'IOR. Je suis respecté et bien payé, il ne s'agit pas de moi. Mais plus je monte en grade, plus je suis étonné de ce que je vois. Rome est la capitale du catholicisme. Mais il s'y passe des choses pas très catholiques.

– Tu as le droit de m'en parler ?

– Je suis astreint au secret professionnel. Mais certaines transactions me surprennent. Tu sais ce que j'ai fait en Suisse et ce que ça m'a coûté. Je ne vais pas recommencer, sois tranquille.

– Ne me dis rien. Mais je t'ai mis là-dedans. Je n'aurais peut-être pas dû le faire. Méfie-toi de Mgr Marcinkus et de Roberto Calvi de la banque Ambrosiano. Ne fourre pas les doigts dans un engrenage qui ne serait pas bon pour toi. Si ça sent le soufre, va-t'en. Ce ne sont pas les emplois qui manquent dans ta spécialité.

– Merci.

– Bien avant ton arrivée en Italie, Michele Sindona avait bâti un empire financier mondial. Il travaillait de près avec Marcinkus et Calvi. Il y a trois ans, son édifice s'est écroulé de manière frauduleuse. Il est en fuite aux États-Unis. Les deux autres sont encore là et toujours aussi puissants. Fais attention maintenant que tu es monté en grade. Avant, comme subalterne, tu étais invisible. Maintenant, tu dois être prudent.

Sur le chemin du retour, Vittorio Petri se disait que son oncle était vraiment extraordinaire de simplicité et d'authenticité. Plus il était immergé dans la pompe prétentieuse du Vatican, plus il l'admirait.

« Cet homme, là-devant, qui pédale en shorts et chemise, avec juste le petit distinctif du col romain, cet homme est archevêque de Venise et cardinal. Et il a l'air de s'en foutre comme de l'an quarante. Il n'a pas seulement l'air, il s'en fiche réellement. Quel type ! »

Vittorio pensait aussi à tout ce qu'il ne pouvait pas dire. Les valises bourrées de cash, amenées aux guichets. Les gros virements de et à la Banco Ambrosiano. Les valses de transactions offshores entre sociétés-écrans. Les pertes énormes que l'IOR avait failli faire dans l'affaire Texon/Credit Suisse.

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant