Chapitre 27 - fin de route

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TW: morts violentes
Les deux tueurs étaient postés aux alentours du château Saint-Ange depuis vingt-quatre heures. Ils ne savaient ni quand, ni où, ni sous quel aspect leur cible se manifesterait. Si elle apparaissait. Ils avaient repéré la voiture où attendait Vittorio. C'était peut-être lié avec la cible. Lorsque celle-ci, surgissant de nulle part, s'était dirigée vers l'automobile, ils se précipitèrent et l'assommèrent par acquit de conscience. Ils vérifieraient après si c'était la cible. C'était la bonne. Ils avaient eu de la chance. Ils jetèrent leurs prisonniers menottés et bâillonnés, chacun dans un coffre de bagnole, la leur et celle de Vittorio. Puis ils se mirent en route. Tout s'était passé vite et discrètement, car Vittorio s'était garé dans un coin désert de la Piazza Adriana.

Pendant ce temps, le second commando était posté de l'autre côté du Vatican, à la Viale Vaticano. Leur victime, un homme de 65 ans, pouvait émerger dans un rayon d'une centaine de mètres autour de la maison rose vénitien avec jardin, située au numéro 50 de la rue. Ils étaient à l'affût depuis la veille.

Lorsqu'il se réveilla, Vittorio tenta de bouger. Ses mains étaient attachées derrière son dos. C'était un peu lâche. « Des menottes », se dit-il. Soudain, il ressentit un violent mal de tête. Il avait envie de vomir, de crier. Mais sa bouche était obturée, collée. Il essaya de l'ouvrir. Impossible. « Si je gerbe, je suis fichu », se concentrant de toutes ses forces pour se maîtriser. Il était sur son côté gauche. Le sol était dur. Il sentait ses os douloureux dans les cahots. C'était ça, il était dans le coffre. Ses yeux n'étaient pas bandés, mais cela ne changeait rien, il faisait nuit noire. Il oublia ses maux physiques et se mit à avoir peur. C'était la fin de la route. Pourvu que ça se passe vite et sans torture.

Albino avait perdu conscience en ouvrant la portière de la voiture. Il se réveillait dans un four avec des douleurs partout. Il tenta de penser à Vittorio. Pourvu qu'il ne soit pas dans la même situation. Mais il y avait peu de chances. Qu'est-ce qui avait cloché dans leur plan ? Il essayait de réfléchir ; avec le mal de tête lancinant, il renonça. « Peu importe à présent, la suite est claire. Et sombre. » Le jeu de mots l'aida à prendre un millimètre de recul. Plutôt mourir maintenant que subir le sort d'Aldo Moro durant des semaines pour périr quand même à la fin. Il tenta de prier, mais cela ne fonctionnait plus.

Il essaya d'évaluer le trajet. La durée, le bruit des rues. Les arrêts aux feux de circulation. Combien de temps était-il resté inconscient ? Après dix, vingt, trente minutes, c'était impossible à estimer, la voiture ralentit, il y eut des cahots douloureux, puis le véhicule stoppa. Le moteur s'arrêta. C'était le silence et l'obscurité.

Le coffre s'ouvrit. La lueur du tendre soir de septembre lui apparut derrière deux types qui le tirèrent sans ménagement, le mirent debout et lui entravèrent les chevilles. Il faillit demander sa casquette de base-ball pour les narguer, pour montrer qu'il n'avait pas peur d'eux. Mais il s'abstint. À quoi bon faire de l'humour dans de pareilles circonstances ? Il devait, en chrétien, se préparer à rencontrer son Dieu. Ces deux hommes n'existaient plus.

Vittorio apparut à son côté dans la même situation. Ils se regardèrent, mais ne pouvaient se parler. On leur ordonna d'avancer. Pour qu'ils soient dociles, on les rassura comme le faisaient les SS. Plus loin sur la droite se trouvait un cabanon où ils seraient désentravés et hébergés dans l'attente d'une rançon.

Mais les exécuteurs n'avaient même pas pris la peine de se masquer le visage. Ce qui ne laissait aucun doute aux suppliciés.

Malgré tout, on ne savait jamais, mécaniquement et fièrement, ils marchaient en titubant vers leur mort certaine.

Ils avançaient. Le sol était sec et dur, parsemé de pierres et d'herbe rare grillée par le soleil. Les entraves aux jambes ne permettaient de progresser que lentement. Ils ne pouvaient rien tenter. Sur les injonctions répétées des bourreaux, ils avancèrent encore. Dix mètres, trente mètres, cinquante ? Devant eux, apparut, non pas une maisonnette, mais une vieille baignoire. De celle qu'on utilise pour abreuver les vaches. Ils devaient se trouver dans un champ en périphérie de Rome, abandonné depuis longtemps. L'endroit idéal pour les éliminer. À côté de la baignoire, ils distinguaient à présent avec horreur des bidons en polyéthylène blanchâtre. De l'acide. Pour faire disparaître leurs cadavres. À ce stade, ils se mirent à espérer qu'on les tue avant de les arroser d'acide. Mais avec le sadisme de la mafia.

À cet instant, les sphincters de Vittorio l'abandonnèrent. Il lâcha tout. Il jura de rage contre son corps qui le laissait tomber ainsi, l'empêchant de mourir dignement.

Albino le regarda. C'était un sourire « Adieu, je t'aime ». Vittorio lui répondit d'un regard d'amour. Puis Albino tourna la tête et ne fixa plus que devant lui. Il ne voyait plus la baignoire ni les bidons. Sa vue était au loin, à l'horizon de la rumeur de la ville. Dans sa tête, il chantait en boucle un psaume de victoire, d'amour, d'espérance et de vie éternelle.

Vittorio lui, était hypnotisé par la baignoire et les bidons. Ce n'était en tout cas pas du lait. Il tenta de se calmer, de respirer à fond, en attente de la balle dans la nuque.

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant