Chapitre 20 - le détecteur de mécréants

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12 septembre, Milan

Aldo Bonassoli vint chercher Vittorio Petri à l'aéroport de Milan-Linate. Joyeux, ils se tombèrent dans les bras. Aldo n'avait pas d'enfants. Vittorio était un peu comme un fils pour lui. Aldo le questionna :

– Tu étais bien mystérieux au téléphone, qu'est-ce qui t'amène dans le coin ?

– Je te dis tout de suite. Si on allait se balader dans le quartier de Ticinese ? Je n'y suis pas retourné depuis longtemps ; c'est charmant là-bas avec les canaux.

Les promenades, ça sentait à plein nez les projets d'actions illégales. Bonassoli voyait son cousin venir, mais toujours optimiste, il s'exclama :

– Va bene, andiamo !

Et fit partir sa micro-Fiat 500 en roulant comme un bolide à travers la circulation dense.

– On se faufile partout avec ça, c'est super pratique en ville !

Ils durent longer les canaux trois fois pour qu'Aldo parvienne à ingurgiter l'histoire abracadabrantesque. À deux reprises, théâtral, il posa sa main sur le front de son cousin. Puis il pensa à ce qu'ils étaient en train de réussir en France, ses associés et lui. Qui était tout aussi surprenant et impossible !

– Dommage que je ne puisse pas vérifier auprès d'Albino que tu n'as pas un grain !

– Bien sûr que tu peux contrôler ! Tiens, voici sa nouvelle ligne directe ! Elle est protégée. Vous pouvez parler librement. Si ça sonne plus que cinq coups, rappelle à un autre moment. Personne à part lui ne prend cette ligne. Si Albino te confirme que je ne suis pas bon pour l'asile, tu pourrais faire quelque chose pour lui ?

– Si bene ! Je dois pouvoir fabriquer un mannequin sosie. Je l'ai déjà fait pour carnaval. Le Duce par exemple. Mais c'était trop dangereux. J'avais détruit la copie. Avec une empreinte au latex et un dispositif que j'ai inventé pour valider et affiner le moulage physique. On filme sous plusieurs angles et mon appareil reconstitue une image en trois dimensions sur écran. C'est révolutionnaire, s'excitait Aldo, à chaque fois qu'il évoquait l'une de ses inventions ! Ce n'est pas tout à fait au point, alors je préfère aussi faire des empreintes physiques. Mais, si je dois faire tout le corps d'Albino, c'est trop difficile !

– Non, son faux cadavre sera exposé habillé. Et ceux qui l'approcheront de tout près seront dans le coup. La tête et les mains doivent être parfaites. Le reste peut être moins précis.

– J'aime ce défi. Je prends ! Je m'ennuie en France à faire semblant de rechercher du pétrole en avion à longueur d'année, c'est barbant. Par contre, sauver mon cher cousin ! Et le pape en prime ! À la barbe de la mafia ! ça, c'est exaltant !

Il serra Vittorio dans ses bras.

– Grazie de m'amener ce cadeau ! Ah voilà une cabine téléphonique ! C'est l'heure de la sieste, je vais le trouver.

Il s'y engouffra et eut tout de suite le Saint-Père en ligne. Dix minutes après, il sortait enchanté et ébahi.

– Tu étais même en dessous de la vérité Vittorio. Absolument dingue cette histoire. Viens, posons-nous là, j'ai envie d'un triple Punt e Mes !

Une fois assis, Aldo Bonassoli et Vittorio Petri mirent au point le plan de bataille de leur mission impossible. Aldo irait faire les empreintes physique et vidéo du pape dans les trois jours. Avec son mini-ordinateur ultra moderne Xerox Alto, son interface graphique, sa grande mémoire de stockage et le logiciel spécial qu'il avait conçu pour interpréter les images du visage et des mains, il espérait réussir. Si nécessaire, il appellerait Vittorio à l'aide.

– On aura besoin de papiers pour Albino, réfléchit Vittorio à haute voix. Il ne pourra pas continuer avec l'identité d'un mort. Passeport, carte d'identité, permis de conduire.

– J'ai un moyen solide.

– Ce serait optimal pour moi aussi. Pour louer une voiture qu'on ne puisse pas tracer après coup. Le soir où Albino s'envolera.

– J'ai un reflex dans l'auto. Je vais te tirer un portrait format passeport. Pour Albino, je le ferai quand j'irai faire les empreintes.

Tout s'accéléra depuis ce moment. Bonassoli téléphona à un vieux complice à Paris, Jean Violet⁠, une barbouze qui, entre autres talents, fabriquait de fausses identités solides et durables. Il rendrait volontiers ce coup de main à Bonassoli sans poser de questions. Aldo ferait un saut à Paris et rentrerait à Rome avec les documents.

*

Le 13 septembre, après deux semaines de combat avec l'administration pontificale, Alessa Lombardi put enfin inscrire dans son agenda, au mardi 10 octobre à 10 h :

« Pape, audience privée & interview. »

Elle avait un bon mois pour s'y préparer. Le Corriere della Sera était preneur.

vendredi 15 - Vatican

Bonassoli fit une visite officielle à son cousin Luciani dans les appartements pontificaux.

Une partie de la rencontre se passa devant témoins. Deux prêtres secrétaires assistèrent aux prises photographiques du pape. Ainsi qu'à la démonstration d'un volumineux appareil de détection de pécheurs et autres mécréants.

– Vous connaissez le détecteur de mensonges, leur demanda Bonassoli ?

– Euh, oui, nous en avons entendu parler, répondit l'un des curés.

– Eh bien, cela fonctionne selon le même principe, détecteur d'ondes cérébrales, expliqua Bonassoli avec un sourire gourmand.

Les deux secrétaires firent un pas en arrière. Le pape riait sous cape. Puis Luciani et son cousin se retirèrent dans les appartements privatifs pour s'entretenir. Bonassoli trimbalait tout un matériel qui interloquait les deux ecclésiastiques. Il requit leur aide pour embarquer le tout, arguant qu'il ne se séparait jamais de ses précieuses inventions.

– Complètement maboul ce type, dit l'un des prêtres, lorsqu'ils furent sûrs de ne pas être entendus.

– Attention aux ondes cérébrales, répondit l'autre.

Lorsque le pape et Bonassoli furent seuls, celui-ci pria Luciani de se coucher sur un divan au milieu de la pièce. Il devait joindre ses mains sur le ventre, demeurer immobile et fermer les yeux. Puis il balada une caméra tout autour de son sujet. Et enfin, il l'enduit d'une pâte épaisse. Deux pailles dans les narines lui permettaient de respirer.

– Reste sans bouger. C'est important. Je chronomètre. Dix minutes. Tu fais comme chez le dentiste.

Ensuite, avec d'infinies précautions, il décolla de la peau la pâte à moitié durcie.

– Dans un quart d'heure, elle aura fini de sécher. On fait encore une prise des mains sous un autre angle et celle de ton crâne. Mets-toi à plat ventre, voilà, comme ça, appuie ton front contre ce coussin ; ton grand nez a besoin de place, bien, ne bouge plus, j'étale l'enduit.

Après leur longue entrevue privée, Bonassoli repartit du palais avec tout son barda. Il requit l'aide de deux domestiques. Les prêtres-secrétaires avaient disparu.

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La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant