Chapitre 19 - l'idée

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dimanche 10 septembre, Vatican

L'après-midi, Vittorio Petri vint le trouver. Le pape l'informa du coup de fil du président américain. Luciani était à présent déterminé à quitter sa charge. Sans mourir et sans démissionner.

– Voilà le but, cher neveu, vois-tu un chemin pour y parvenir ?

Vittorio réfléchit une minute. Puis il suggéra qu'Albino Luciani s'éclipse du palais pontifical comme il l'avait déjà fait à deux reprises avec succès. Mais cette fois-ci, ce serait définitif. Tout simplement. Pfouit, le pape aurait disparu. Les gens penseraient ce qu'ils voudraient. Certains y verraient la main du Saint-Esprit, d'autres échafauderaient des théories plus prosaïques. Chacun selon son système de croyances.

– Et concevoir plus loin encore ? Si j'étais officiellement mort, cela écarterait toute interprétation hasardeuse. Et la mafia ne me chercherait pas.

– Oui, mais comment ? Pas de corps, pas de mort ! Tu ne peux pas jouer au cadavre durant quatre jours sur un catafalque au vu de la planète entière ! Même Agatha Christie n'a pas concocté de scénario aussi improbable.

À force de se triturer les méninges, les deux hommes envisagèrent d'utiliser le projet de meurtre pour le retourner en leur faveur. Comme en judo. Avec un mannequin parfaitement imité et des complicités au sein du Vatican, ce serait peut-être praticable. Avantage, la mafia croirait avoir atteint son but. Et Albino Luciani serait libre. Inconvénient, les réformes ne se feraient pas. Sauf si le pape à venir était un libéral plus courageux que lui.

– Tu réalises la perplexité des mafieux, dit en riant Vittorio, si tu meurs officiellement empoisonné, alors qu'ils n'ont pas encore mis de poison dans ta boisson !

– J'adore ton humour noir Vittorio, rigola Luciani. Si on apprenait le jour prévu par les criminels, on pourrait faire coïncider le tout. On doit se préparer au plus vite, ça peut survenir à tout moment.

– En attendant, jette ta camomille dans les toilettes ! J'ai une autre idée, poursuivit Vittorio. Pour réaliser tout cela, on a besoin de monde et de fonds. L'abbé Dubois, l'ancien favori de Paul VI, est devenu un ami. Nous jouons au squash ensemble. Il a beaucoup de ressources cachées, cet homme-là. Il pourrait nous être précieux. Mais il mène grand train et est avide. Sans argent, il ne fera rien.

– Tu sais bien que je n'en ai pas, Vittorio.

Vittorio suggéra d'utiliser sa position à l'IOR. Il pourrait détourner une partie de la cagnotte mafieuse. Il savait où ces cagnottes se cachaient. Dans des comptes de sociétés offshore. Il pouvait dévier des sommes gigantesques, des centaines de millions de dollars, sans laisser de trace. Ce serait incolore et inodore. Mais Luciani ne fut pas du tout d'accord. Le 7e commandement l'interdisait, encore que voler un voleur et assassin n'était pas spécifié clairement dans la Bible. Surtout, il rappela à Vittorio ce qui lui était arrivé en Suisse. Comment, après avoir escroqué des malfrats, il s'était fait battre à mort.

– L'accident de circulation, ce n'était qu'une explication pour les tiers. Tu n'as donc rien appris ? Tu as failli y laisser ta santé, ta vie même, et tu veux recommencer avec de plus dangereux encore ?

– Tu as raison. Mais ce coup-ci, je ne serais pas repérable.

– Et si tu te trompes une deuxième fois ? La première aussi, tu croyais être un passe-muraille. J'ai pensé à un autre moyen de m'aider sans t'exposer. Faire appel à Aldo Bonassoli, notre cousin. Lui, il sait peut-être comment faire un mannequin ressemblant à s'y méprendre. Et s'il le peut, je mettrai dans la confidence soeur Vincenza, mon ami le Dr Renato Buzzonetti et le cardinal Villot. Et vogue la galère !

– Mais c'est impossible, on ne peut pas faire un faux cadavre comme ça, s'exclama Vittorio !

Le pape aimait bien Mark Twain. Il rétorqua par une citation de lui.

– Va savoir. They didn't know it was impossible, so they did it. Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. Essayons, on verra bien.

Lundi 11 septembre, Vittorio appela son cousin Aldo Bonassoli. Il avait de la chance. Bonassoli venait de rentrer d'une campagne de prospection pétrolière éreintante au Gabon et au Maroc. Il se reposait quelques jours chez lui à Lurano, près de Bergame. Ils décidèrent de se rencontrer le lendemain à Milan. Vittorio ferait l'aller-retour en avion.

Après ce téléphone, Vittorio fut à nouveau tenté par un détournement de fonds. Les sommes étaient importantes et le risque négligeable. Il avait les réceptacles, des sociétés offshores, des comptes numérotés en Suisse, des comptes anonymes en Autriche. Il connaissait les codes d'envoi. Il pouvait effacer toute trace dans les télex et orienter les recherches sur d'autres que lui, comme Calvi, Sindona ou Marcinkus. Il pouvait faire croire à la pègre que ses réserves étaient toujours garnies alors qu'elles seraient vidées d'un seizième. Les faux états de compte n'étaient pas faits pour les chats. Ils seraient établis par des comptables créatifs à sa solde. Qui ne connaissaient pas leur employeur. En deux ans à l'Institut des Oeuvres de Religion, Vittorio Petri avait de très loin dépassé ses maîtres en magouilles.

Il restait tenté. Mais que dirait son oncle ? Albino n'avait pas besoin de savoir, au fond. Un mensonge de plus ou de moins. Et ce serait pour son bien, pour le sauver. Mais était-ce vraiment pour sauver son oncle ou juste, sans se l'avouer, pour s'enrichir, lui ?

Puis, il se dit qu'il pourrait toujours actionner ce dispositif plus tard. Mais il eut surtout peur. « Et si j'avais oublié un grain de sable ? Albino a raison. La mafia finirait par comprendre et me retrouver. Je serais torturé à mort. Brrr ! » C'était comme le mouvement des pions aux échecs, on pouvait les avancer, jamais les reculer. Il décida de garder ce pion clé sur sa case de départ. Sans le bouger. Il se souvint aussi de l'aphorisme du politicien français Henri Queuille, il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.

Il renvoya à plus tard. Ou aux calendes grecques.

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1000 mercis de votre lecture. J'espère que ça continue à vous plaire. 

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant