Chapitre 15 - une négociation délicate

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Le dimanche 3 septembre à 14 h, il reçut le cardinal Villot, encore plus renfrogné que d'habitude.

- Alors Éminence, attaqua le pape, êtes-vous avec moi ou contre moi?

- Mais avec vous, Saint-Père, avec vous, répondit Villot, interloqué par cette entame frontale.

- Nous travaillons ensemble depuis une semaine. À chacune de mes propositions, vous opposez des objections, quand ce ne sont pas des impossibilités.

- C'est que, très Saint-Père, vos suggestions sont pour la plupart très différentes de celles de votre prédécesseur. Comme vous êtes nouveau à ce poste si éminent, et que j'ai eu l'honneur de servir longtemps l'ancien pape, j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous le faire savoir. Afin que vous puissiez décider en pleine connaissance de cause.

- Je vous remercie de votre sollicitude. Je la comprends jusqu'à un certain point puisque je suis un provincial sans expérience de gouvernement. Vous m'avez déclaré sans cesse : « l'ancien pape ne faisait pas ainsi, n'aurait pas fait comme ça ». Je vous le dis tout à trac : c'est fini cela. Paul VI est mort. Tout ce que vous pouvez faire pour lui, c'est de consulter nos sages pour une béatification. Paul VI n'a plus rien à dire ici-bas. Le pape aujourd'hui, c'est moi. Est-ce assez clair?

- On ne peut plus clair, Votre Sainteté. Mais, si je puis me permettre...

- Oui ?

- Vous avez été élu par 99 voix sur 111. Les cardinaux qui ont voté pour vous, notamment ceux de la Curie, se sentiraient trahis si vous entamez des réformes qui ne sont pas conformes à leurs voeux.

- Je n'ai courtisé personne, je n'ai fait de promesses à personne, je ne dois rien à personne.

- Mais vous êtes le pape, Saint-Père.

- Je ne l'ai pas cherché. Vous, comme camerlingue, vous le savez mieux que quiconque. J'ai hésité à vous dire « j'accepte » lorsque vous me l'avez demandé. Vous avez dû vous y reprendre à deux fois. On ne va pas tergiverser. Oui, j'ai consenti, je suis le pape. Et le pape vous demande encore une fois « êtes-vous avec lui ou contre lui ? »

- Avec lui.

- Bien. Je vous avais sollicité, malgré votre âge et votre santé, de rester mon secrétaire d'État, le temps que je m'y retrouve. Je vous remercie d'avoir dit oui. Puisque vous êtes avec moi, acceptez-vous de le demeurer jusqu'à l'an prochain ? Et de me soumettre trois remplaçants à choix ? Nous confronterons nos préchoix. Puis je déciderai.

- Je suis d'accord, Saint-Père.

« Bon, pensa Luciani soulagé, je l'ai secoué, mais il reste quand même à mon côté. Il est si réservé ! C'est une huitre. Mais quelque chose me dit que sous sa carapace, c'est un type bien. Je dois prendre le risque. Je n'ai guère le choix, de toute façon. Allez, je me lance ! »

- Ce qui va suivre est confidentiel, Éminence. Seulement entre vous et moi. Aucune note écrite. Aucune confidence à qui que ce soit.

- Entendu, je suis tout ouïe.

- J'ai fait sécuriser contre les écoutes mes appartements et ma ligne téléphonique.

- Ah ! Vous ne m'en aviez pas parlé ! Paul VI ne se préoccupait pas des écoutes. Et il m'en aurait chargé.

- Vous voyez, c'est plus fort que vous, vous recommencez Éminence, rit de bon coeur le pape ! Moi Gianpaolo 1er, je me soucie des écoutes. Et moi Gianpaolo 1er, je ne passe pas tout par mon secrétaire d'État. Il m'arrive d'agir de mon propre chef.

- Excusez-moi, très Saint-Père, j'ai un pli à ma soutane, je le reconnais, dit Villot en souriant enfin.

- Peut-on aller au coeur du sujet ?

- Oui, oui, je ne vous interromps plus.

- Mercredi prochain 6 septembre, à 10 h, on me tirera dessus. Ce sera dans la salle Nervi, lors de l'audience générale. Je le sais de source sûre. C'est un complot structuré. Le mobile ne m'est pas connu. Mes velléités de réformes ont peut-être filtré. Je prends les mesures suivantes : mardi soir, je partirai incognito du Vatican. Les informations scellées par Paul VI que vous m'avez remises me seront utiles. Je ne peux pas vous en dire plus. Mardi soir à 22 h, vous réunirez toute mon équipe personnelle. Vous leur direz que je serai absent quelques jours, qu'ils doivent le garder pour eux et fonctionner comme d'ordinaire. Mercredi matin à 8 h, vous ferez communiquer par Radio Vatican que l'audience de 10 h salle Nervi est annulée. Sans donner d'explications. Si on vous le demande, ce sera un no comment qui vous évitera le péché de mensonge. Vous conduirez la boutique comme vous savez si bien le faire en l'absence du pape. Pour votre seule information, je vais faire une retraite spirituelle de trois à quatre jours. J'espère être de retour dans la nuit du 8 au 9. Si vous faites sécuriser vos appartements et votre ligne, j'essaierai de vous téléphoner. Sinon, je ne vous appellerai pas. J'ai fini. Avez-vous des questions? Des propositions?

- Non, c'est clair, Saint-Père. Je suis vraiment, et au plus profond de mon coeur, avec vous. Même si nous avons des divergences de points de vue sur des sujets apostoliques, elles ne sont rien par rapport à ce qu'on tente de vous faire. Je suis atterré. Et j'attends volontiers votre expert en écoute.

- Merci de votre soutien, Éminence. Il me fait du bien. Je vous l'envoie demain. Il vous dira qu'il vient vérifier l'installation électrique. C'est gratuit. Ne cherchez pas à comprendre. Parfois Dieu nous aide. Rappelez-vous, pas un mot de tout ceci à quiconque.

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Semaine prochaine, pfouit!

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant