Chapitre 29 - la ruse

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Durant la nuit du 28 au vendredi 29 septembre, avec ce qui se passait un étage au-dessus, le cardinal Villot ne dormait que d'un oeil. Il était resté habillé sur son lit, prêt à tout. Il fut vite debout après avoir entendu gratter à sa porte. C'était l'un des cardinaux de Curie les plus conservateurs. Il était deux heures et demie du matin. Son visiteur n'y alla pas de main morte. La violence du propos était à l'inverse de la forme doucereuse.

– Excusez mon intrusion nocturne Éminence, mais le sujet est de la plus haute importance pour l'Église.

– Je vous écoute Éminence.

– Sa Sainteté est parue souffrante à plusieurs d'entre nous hier soir. Elle s'est plainte d'une gêne à la poitrine. Je suis très inquiet pour sa santé. J'espère qu'il s'agit d'une fausse alerte et qu'il sera parmi nous en pleine forme ce matin. Mais taraudé par l'inquiétude, je me suis permis de vous déranger. Je n'ose importuner Sa Sainteté elle-même. Elle doit se reposer de cette fatigue qui l'incommodait hier soir.

Villot savait bien que c'était des sornettes. Il avait été avec le pape la veille plus que quiconque et il était bien placé pour savoir que le pape était en pleine forme. Mais il répondit simplement :

– Je comprends votre appréhension. Je vous propose de faire une brève prière ensemble pour la santé du pape.

Les deux cardinaux s'agenouillèrent sur le sol et prièrent un instant.

– Bien, arrivez-en donc maintenant au fait Éminence, dit sèchement Villot se relevant.

– Vous avez raison. Si jamais Giovanni-Paolo était décédé cette nuit, on ne sait jamais, les voies du Seigneur sont si impénétrables, en votre éminente qualité de Secrétaire d'État et de Camerlingue, il vous incomberait de détruire les derniers ordres du pape. Pour ne pas gêner notre prochain pontife qui pourrait penser différemment.

– Et qu'est-ce qui vous fait croire que je pourrais me livrer à cela, demanda Villot troublé ?

– J'ai ouï dire que certaines personnes mal intentionnées détenaient un dossier compromettant vous concernant. J'ai aussi appris que ces personnes ne souhaitent pas certaines choses. Si elles devaient néanmoins survenir, ces gens risqueraient de se laisser aller à rendre publiques des informations fâcheuses vous touchant directement. Apprenant ces nouvelles, je viens en ami et en frère vous conjurer d'éviter de tels regrettables événements.

– Poursuivez Éminence, répondit Villot glacial.

– En cas de décès prématuré de Sa Sainteté, il conviendrait de ne pas faire d'autopsie. Une intrusion corporelle sur la personne sacrée du Saint-Père serait superflue puisque le pape est malade. Un embaumement sans délai permettrait l'exposition rituelle au public sans attendre. Celle-ci raccourcirait utilement l'interrègne.

L'absence d'autopsie arrangeait bien Villot. Pour l'embaumement, il avait son plan. Pour la destruction des trois licenciements, il était prêt à s'y soumettre. Pour sa sauvegarde. Il voyait d'où venait le missile. Il devait faire très attention. Il se dit « essayé pas pu, j'ai déjà sauvé le pape, ça devrait suffire pour le salut de mon âme. Maintenant je dois assurer mon salut ici-bas. »

Il acquiesça d'un hochement de tête et congédia son visiteur.

Le vendredi à 4 h 45, soeur Vincenza découvrit le corps du pape comme prévu. Comme prévu, elle appela le cardinal Villot qui vint aussitôt. Et comme prévu, il appela le Dr Buzzonetti qui vint immédiatement au Vatican. Après examen, Le Dr Renato Buzzonetti confirma comme prévu la mort par crise cardiaque un peu avant minuit. Il établit le certificat de décès.

Vers sept heures, pendant que les trois personnes au courant étaient occupées à habiller le mannequin, se présentèrent au Vatican les deux frères Signoracci, Ernesto et Renato, qui avaient embaumé les trois papes précédents. Les Signoracci disaient que le Vatican avait appelé tôt l'Institut de Médecine dont ils dépendaient. Villot ne les avait bien sûr pas convoqués. C'était sûrement son visiteur nocturne. Mais, désolé, ils arrivaient trop tard, car d'autres embaumeurs étaient déjà au travail. Villot les paya mieux que s'ils avaient exécuté leur tâche et leur fit promettre la confidentialité absolue sur cette affaire embarrassante pour le Vatican. Elle témoignait d'une mélasse de compétences qui était survenue dans l'émotion suscitée par le décès du très Saint-Père. Si des journalistes ou d'autres leur demandaient s'ils avaient embaumé le pape, leur réponse devrait rester «pas de commentaire» ou «secret professionnel».

Après cette interruption, le cardinal Villot, soeur Vincenza et le Dr Buzzonetti finirent de passer au mort les habits d'apparat d'exposition au public. Le défunt pape portait une tiare souple, mules, chaussettes et soutane blanches, ainsi qu'une sursoutane rouge. Ses mains qui tenaient un chapelet étaient croisées sur son ventre. Sa tête reposait sur l'étole qui couvrait un épais coussin de velours grenat. Son visage était serein. La mise en scène était parfaite.

Lorsque tout fut en place, le personnel fut convié, en fin de matinée, dans les appartements pontificaux. Par précaution, il était préférable de ne pas trop s'approcher du Saint-Père ; le médecin n'excluait en effet pas la présence d'un virus qui aurait pu déclencher la crise cardiaque; c'était la raison pour laquelle, seuls le cardinal Villot, sœur Vincenza et le Dr Buzzonetti avaient procédé à l'habillage de Sa Sainteté. Le risque de contamination se répandit, écartant ainsi les curieux.

Le corps fut transporté le jour même dans la salle Clementina, dont les portes furent fermées à double tour. Le lendemain, escorté par la Garde suisse et suivie d'une procession de prélats avec cierges et prières, la dépouille de Jean-Paul 1er fut amenée à la basilique Saint-Pierre, sous les caméras du monde entier. Durant quatre journées, les fidèles défilèrent en masse pour rendre un dernier hommage au pape au sourire. À Lurano, Aldo Bonassoli dégustait les images universelles de son chef d'œuvre inconnu.

Vittorio demanda à Nancy si ce n'était pas elle, qu'il avait entrevue, l'avant-veille, au volant d'une voiture avec l'abbé Dubois, sur un terrain vague entre Cinecitta et les hippodromes. Il lui détailla ce qui s'était produit. Elle applaudit à leur sauvetage miraculeux, lui caressa le front et murmura avec tendresse :

– Repose-toi mon amour, tu en as besoin après toutes ses émotions fortes.

La Pieuvre au Vatican (T2 de la série Diagonale Italienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant