Chapitre 2

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Inès Herrera était la kinésithérapeute de Judith depuis presque un an. En arrivant à Paris, cette dernière avait contacté plusieurs cabinets pour poursuivre sa rééducation. Inès, jeune diplômée fraichement installée, était la seule disponible, contrairement à ses confrères dans le secteur qui affichaient des listes d'attente aux délais démentiels. Judith ne croyait pas vraiment en Dieu, mais chaque jour elle remerciait le destin d'avoir mis Inès sur sa route, preuve supplémentaire que rien n'arrivait jamais par hasard. Le courant était très vite passé entre elles. Le stade de la relation patient-soignant était désormais révolu. Au fil des séances, elles avaient développé une belle amitié. Judith admirait la beauté naturelle d'Inès, loin de celle des filles superficielles que l'on voit partout sur Instagram. Elle l'avait rarement vue maquillée, la jeune thérapeute n'avait pas besoin d'artifice. Son teint était naturellement hâlé de par ses origines mexicaines, et elle arborait toujours ce sourire rayonnant, communicatif. C'était une femme déterminée, charismatique. Judith nourrissait énormément d'estime et d'affection envers elle. Depuis leur rencontre et à mesure qu'elles faisaient connaissance, les séances de rééducation étaient devenues moins pénibles. Elles riaient, discutaient de la pluie et du beau temps ou abordaient des sujets plus importants et plus profonds. Si elle omettait le travail acharné et les séances de torture qu'Inès lui faisait subir, il s'agirait du meilleur moment de sa semaine. Judith sortait souvent de là courbaturée de la tête aux pieds, pourtant, en voyant les résultats, elle ne pouvait qu'être reconnaissante.

Judith, pas vraiment d'humeur à recevoir une leçon de morale après toutes ces péripéties, interrompit Inès avant qu'elle n'exprime son point de vue.

- Je sais ce que tu vas me dire. Je n'aurais jamais dû marcher sur une si longue distance sans mes béquilles, je ne dois pas gaspiller inutilement mes forces avant la séance... J'en suis consciente, parce que j'ai entendu ta voix dans ma tête pendant tout le trajet. Avec le recul, j'aurais mieux fait d'écouter cette petite voix. Je pensais que j'allais crever sur le bas-côté, pour illustrer à quel point j'étais à bout de forces. Par pitié, n'en rajoute pas, j'ai compris la leçon.

- J'allais juste dire que tu étais tombée comme une merde tout à l'heure.

- C'est moche de se moquer d'une handicapée.

Elles éclatèrent de rire simultanément, et Judith se sentit un peu mieux.

- Je vais me montrer indulgente aujourd'hui, tu as de la chance. Un massage des jambes te fera du bien.

- Amen !

- C'est bon pour cette fois. La prochaine on se remet au boulot, que tu aies fait le Guignol avant ou pas. Ju, je sais que tu es pressée, mais ça ne sert à rien de brûler les étapes. Tu as tellement progressé ces derniers temps ! Tu vas y arriver. Je n'ai aucun doute là-dessus. Sois juste patiente. Chaque chose en son temps.

Judith appréciait ce côté à la fois sévère et doux d'Inès, qui ne laissait pas de place à la contradiction. Elle acquiesça silencieusement, et ferma les yeux pour mieux profiter de ce massage qui lui procurait un bien fou. Se plaindre de son sort n'était pas dans ses habitudes, mais elle détestait profondément être diminuée, ne pas être capable de se mouvoir comme elle le souhaitait. Et ces douleurs qui revenaient sans cesse, qui la poursuivaient jusque dans son sommeil... Sa plus grande crainte était qu'elles ne lui laissent jamais de répit. Elle mesurait sa chance d'être en vie, même si parfois le revers de la médaille avait un goût amer.

La séance achevée, elle quitta Inès en lui promettant de se reposer jusqu'à la prochaine, dans deux jours. Elle avait quasiment oublié Ben, qui l'attendait comme convenu pour l'accompagner sur le chemin du retour. Elle leva les yeux au ciel, irritée. Comme si elle avait besoin d'un garde du corps ou d'un chaperon. Inès avait de drôles d'idées.

Tome 1 - Après le videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant