Chapitre 52

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- Qu'est-ce que tu as à me regarder comme ça ?

Judith souffla bruyamment. Elle avait remarqué le manège de César, qui lui lançait des coups d'œil suspects depuis un bon moment.

- Rien. Je te trouve beaucoup trop heureuse en ce moment.

- Oui, et alors ? Je n'ai pas le droit ?

- Tu sais qui est étrangement heureux aussi ?

- Non, mais tu vas me le dire.

- Tu le sais très bien. Et ne viens pas me dire que c'est une coïncidence, je ne te croirais pas.

- Qu'est-ce que tu peux être lourd quand tu t'y mets.

Judith restait un peu sur la défensive, lasse de subir les interrogatoires indiscrets de César. Même Joséphine et Inès la laissaient tranquille au sujet de Ben, il était le seul à faire preuve d'une curiosité insatiable. Judith n'avait pas envie que la terre entière soit au courant de leur histoire pour le moment. Ils se retrouvaient et reprenaient leurs marques à leur rythme, hors de question de subir la pression de leur entourage. Tout lui semblait déjà suffisamment compliqué en l'état actuel des choses. Ils ne se voyaient qu'en coup de vent quand Sacha était à l'école et que Judith prenait une pause au travail. Autrement dit, pas très souvent. Elle n'était pas encore prête à officialiser leurs retrouvailles. Sa principale crainte n'était pas de révéler la vérité à leurs amis, consciente qu'ils s'y attendaient tous plus ou moins. Elle appréhendait beaucoup plus la réaction de son fils, il lui était inconcevable qu'il ne l'apprenne par quelqu'un d'autre. Avec la discrétion légendaire qui caractérisait leur groupe d'amis, elle préférait ne prendre aucun risque. Sacha n'avait que six mois lorsque Liam était tombé malade. Entre ses séjours à l'hôpital et son décès, il n'avait pas beaucoup vécu avec eux. Judith et Sacha n'avaient toujours été que tous les deux, et elle craignait que l'arrivée d'un homme dans leur vie ne vienne chambouler leurs habitudes bien ancrées et bousculer leur équilibre. Le jour de la naissance de Sacha, elle s'était promis qu'il serait toujours sa priorité. Judith voulait avant toute chose s'assurer que sa relation avec Ben ne serait pas mal vécue par Sacha. Ben se montrait compréhensif, même si elle sentait parfois qu'il avait besoin de plus.

Son téléphone vibra dans sa poche, affichant un message entrant de Ben.

Tu me rejoins dans la salle de bain dans 5 min ?

Judith sentit un sourire niais s'afficher sur son visage malgré elle. Par bonheur, César était sorti fumer et personne ne prêtait trop attention à elle. Sacha était calé devant un dessin animé, Joséphine donnait le biberon à Ella. Les autres étaient éparpillés entre le salon, la cuisine et le balcon. Elle hésitait, effrayée à l'idée qu'ils puissent être pris en flagrant délit, comme deux collégiens.

Ça va être compliqué, ils vont nous pister.

Elle observait discrètement Ben du coin de l'œil. Il leva les yeux au ciel et tapa une réponse qu'elle ne tarda pas à recevoir.

T'inquiètes. Viens.

Judith ne se laissa pas désirer plus longtemps, mourant d'envie de se retrouver quelques instants seule avec Ben. Ils ne s'étaient pas vus depuis plus d'une semaine. César était toujours à l'extérieur et sa sœur, encore sur le biberon d'Ella. Par chance, la salle de bain de l'appartement de Ben se trouvait tout au bout d'un long couloir qui desservait aussi les deux chambres, séparé de la pièce de vie par une porte fermée. Judith quitta le salon le plus discrètement possible pour le retrouver dans la salle de bain, comme convenu. Il la tira doucement par le poignet et referma la porte à clé derrière eux. Judith sentit son dos toucher le mur et son corps contre le sien. Ben posa ses mains de chaque côté de son visage et lui donna un baiser enflammé, qui lui sembla encore plus intense avec l'effet du manque.

- Ça fait une heure que j'attends ça, sérieux c'est trop dur. Tu es là en face de moi, et je ne peux même pas te toucher.

Il avait raison. Se comporter comme des amis en public alors qu'ils étaient bien plus dans l'intimité, devenait beaucoup trop difficile.

- Il ne faut pas qu'on traine, tu sais bien...

- T'inquiètes, j'ai dit à César que je partais vite fait à l'épicerie, et les autres ne nous calculent pas. On a tout notre temps. J'ai envie de profiter un peu de toi encore. Tu me manques trop.

- Toi aussi, tu me manques. La situation ne m'amuse pas non plus.

- Je sais. On en discutera plus tard, là je n'ai pas vraiment envie de parler.

Il l'attira de nouveau contre lui pour l'embrasser encore et encore. Même s'ils avaient toutes les peines du monde à stopper leur élan, leur absence allait commencer à paraître suspecte. C'est à contrecœur qu'ils se séparèrent.

- Je vais essayer de poser une journée cette semaine pour qu'on passe du temps ensemble, je pense qu'on en a besoin tous les deux.

Il acquiesça silencieusement. Judith sentait la situation de plus en plus pesante pour Ben, ce qui lui brisait le cœur. Peut-être était-il temps de passer un nouveau cap.

- Mercredi, j'emmène Sacha au parc, tu pourrais peut-être... Venir avec nous ? Et rester manger après ? Ça pourrait être une première étape.

Elle y pensait depuis un moment, sans oser sauter le pas. Il était clair qu'ils ne pouvaient plus se contenter de se voir entre deux portes. L'un comme l'autre avaient besoin de plus, il fallait que les choses avancent. Le sourire qui se dessina sur son visage confirma à Judith qu'elle avait visé juste. Après un dernier baiser, elle quitta la salle de bains la première pour rejoindre le salon, où tout le monde semblait continuer ses activités sans se préoccuper d'eux, excepté César.

- Ça va ?

- Oui et toi ?

- Tranquille. Tu es toute décoiffée.

- Et alors ? Je ne me balade pas avec ma brosse.

- Je sais très bien que Ben n'est pas vraiment parti à l'épicerie.

Il la regardait d'un air appuyé en haussant les sourcils, amusé d'avoir découvert le pot aux roses. Judith continuerait à nier tant qu'elle le jugerait nécessaire. Plutôt mourir que de l'avouer, ça aurait fait bien trop plaisir à César. Comme les autres, il attendrait que le moment soit venu.

- Vous êtes vraiment naïfs à faire vos bails en pensant être discrets.

- Je ne sais pas si c'est le manque de sommeil, mais tu te fais vraiment trop de films.

Il rit et embrassa Judith sur la joue.

- En tout cas je suis content pour vous.

Tome 1 - Après le videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant