Chapitre 5

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Deux jours. Seuls deux jours en présence de Joséphine avaient suffi à pousser Judith à bout. Pour commencer, elle avait exigé que sa sœur vienne la chercher à la gare, prétextant la peur de ne pas savoir se repérer dans Paris. Étant données ses difficultés à se déplacer, Judith se voyait mal dans le métro en pleine heure de pointe. Elle avait dépensé une fortune pour prendre un taxi, et Joséphine n'avait pas jugé opportun de proposer de payer le trajet retour. C'était comme si elle évoluait constamment avec une aura de négativité contagieuse autour d'elle depuis son arrivée. Elle n'avait cessé de critiquer l'appartement de Judith, le trouvant mal situé, trop petit, pas bien agencé, pas suffisamment décoré. Avec tout le culot dont elle était capable de faire preuve, elle s'était plainte à plusieurs reprises du troisième étage sans ascenseur, sans une once de compassion pour Judith qui montait silencieusement les escaliers avec ses béquilles. Judith avait l'impression de se trouver face à une copie conforme de leur mère, insatisfaite et ingrate. Elle était déjà au bord de l'implosion quand Joséphine aborda le sujet du travail.

- Qu'est-ce que tu fais de tes journées au juste ? Est-ce que tu comptes reprendre le travail un jour ?

- Qu'est-ce que je fais de mes journées ? Joséphine ! J'ai du mal à aligner trois pas sans ces foutues béquilles, je te rappelle que j'ai été renversée par une voiture, que j'ai passé deux mois en réanimation, j'ai eu le bassin et les deux jambes cassées en plus des côtes ! Tu es médecin, il me semble ? Tu es censée savoir ce que ça signifie. Je vais en rééducation quatre fois par semaine et je bosse comme une acharnée pour espérer remarcher correctement un jour. Je ne te parle même pas des douleurs atroces qui me réveillent la nuit. Excuse-moi, c'est vrai, tu ne t'en es jamais vraiment soucié. Comment tu pourrais le savoir ? Donc, pour te répondre, oui, j'espère pouvoir retravailler un jour. Tu parles d'une vie de rêve !

Judith perdait rarement son sang-froid, mais sa sœur avait tellement tiré sur la corde qu'elle avait fini par se rompre.

- Arrête Ju, ce n'est pas ce que je voulais dire.

- Je ne sais même pas pourquoi tu es venue ! Depuis ton arrivée, tu ne fais que des remarques désobligeantes.

- Ne t'en fais pas, je vais vite trouver une autre solution. Visiblement, je dérange.

- Très bien, de toute façon mon appartement est mal situé, trop petit et trop miteux pour toi !

L'heure de la séance de kiné avait sonné, ne pouvant pas mieux tomber. Judith avait grand besoin de prendre l'air et de se défouler. Excédée, elle quitta l'appartement en claquant la porte.

Elle avançait tant bien que mal en claudiquant sur ses béquilles jusqu'à l'arrêt de bus. Elle se maudissait intérieurement d'avoir oublié ses écouteurs dans la précipitation. Elle aurait aimé pouvoir s'évader en écoutant de la musique, au lieu de ruminer cette stupide dispute.

Une voix qui ne lui était pas inconnue la fit sursauter.

- Salut.

Elle fut surprise de trouver Ben en face d'elle.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Oh, tu as l'air de bonne humeur toi...

- Excuse-moi... Je viens de me prendre la tête avec ma sœur et tu m'as fait peur. Je ne m'attendais pas à te voir.

- Je sais que tu as rendez-vous à la même heure que moi aujourd'hui, alors je me suis dit que j'allais te rejoindre pour qu'on fasse la route ensemble.

- C'est Inès qui t'envoie ?

- Non. J'avais envie de te voir.

Judith sentit ses joues s'enflammer. Elle avait bien du mal à suivre Ben. L'autre jour, il lui avait à peine adressé un regard et ce matin, il venait jusqu'à son arrêt de bus uniquement pour faire un bout de chemin avec elle.

Tome 1 - Après le videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant