Les yeux fixés sur cette deuxième barre qui virait au violet foncé, Judith était incapable de bouger, complètement incrédule et sidérée.
- Alors ?
Inès commençait à s'impatienter derrière la porte fermée de la salle de bain. Judith ne l'avait pas verrouillée et elle y entra sans avoir été invitée.
- Bon, ça dit quoi ?
- Je crois que c'est positif...
- Laisse-moi voir... Oh putain, mais c'est même carrément positif ! Regarde !
- J'ai vu Inès...
A bout de forces après avoir vomi la totalité du peu qu'elle avait été capable d'ingérer depuis plusieurs jours, Judith se laissa tomber assise sur le carrelage froid de la salle de bain, le dos contre la baignoire. Anesthésiée et incapable de ressentir quoi que ce soit, Judith ne savait plus si elle était heureuse, surprise, triste, effrayée, où tout cela à la fois. Elle se sentait juste fatiguée et vide.
- Ça ne va pas ?
- J'ai la tête qui tourne. Je vais encore vomir...
Inès l'aida à se relever et la regarda vomir le contenu de son estomac vide dans les toilettes d'un air désolé.
- Je ne comprends pas comment ça a pu se passer.
- À ton avis ? Tu sais comment ça fonctionne quand même, je ne vais pas te faire un dessin.
- Sérieusement...
- C'est le destin, tu ne crois pas ? Ça devait forcément arriver un jour ou l'autre.
Inès la regardait, un sourire en coin. Elle était presque plus heureuse que Judith, qui leva les yeux au ciel, agacée.
- N'importe quoi.
- Allez, viens t'allonger. Si ça continue, il faudra vraiment que tu ailles chez le médecin.
- Pitié, faites que ça s'arrête avant que Sacha ne rentre, je n'arriverais jamais à m'occuper de lui dans cet état.
- Une chose à la fois. Pour le moment, il est chez ses grands-parents et ça tombe très bien. Tu as besoin de repos et de temps pour gérer tout ça.
Les larmes lui montèrent de nouveau en pensant à Sacha. Elle avait prévu d'y aller pas à pas, étape par étape et voilà qu'elle se retrouvait enceinte sans l'avoir planifié. Une nouvelle histoire de mauvais timing, invariablement.
- Ne t'en fais pas. On sera là pour toi.
- Je devrais peut-être appeler Ben, tu ne crois pas ?
- Va te coucher. Je m'occupe de tout.
Reconnaissante, Judith remercia Inès. Le simple fait d'attraper son téléphone pour écrire un message était au-dessus de ses forces. Blottie sous les couvertures, les yeux mi-clos, elle sombra doucement dans le sommeil en pensant à cet événement inattendu qui bouleverserait le long fleuve tranquille qu'elle prévoyait de traverser après tant de tempêtes.
Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux à moitié fermés, il devait être encore très tôt. Judith avait du mal à ouvrir les yeux, elle avait dormi longtemps. Une chaleur rassurante enveloppait son corps. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour comprendre que Ben était venu se glisser près d'elle cette nuit. Elle était si fatiguée qu'elle ne l'avait même pas entendu. Elle eut à peine le temps de profiter de ses bras qui lui avaient tant manqué, qu'une sensation de nausée désagréable lui retourna l'estomac. Cette journée semblait bien partie pour être identique aux précédentes, ne lui laissant que peu de répit. Judith accourut à la salle de bain avant de revenir au lit et de retrouver Ben, réveillé cette fois-ci.
- Ça va ?
- J'ai connu mieux.
Le menton de Judith tremblait, elle était sur le point de fondre en larmes d'un instant à l'autre. L'intensité de ses symptômes la surprenait, en plus des nausées, vomissements et fatigue, elle était vraiment à fleur de peau. Elle s'allongea près de lui, et ferma les yeux.
- Inès m'a dit que tu étais malade. Pourquoi tu n'as pas appelé ? Je serais venu avant. Je pensais que tu faisais ta fière encore.
- Je suis dans cet état depuis trois jours, je suis loin de faire la fière, crois-moi. Je n'ai juste plus aucune force.
Il se rapprocha d'elle et elle posa la tête sur son torse. Les battements réguliers de son cœur et ses caresses dans ses cheveux l'apaisaient et l'aidaient à se sentir un peu mieux. Le déroulement des jours précédents défilait dans ses pensées. Il avait fini par partir en claquant la porte tant elle s'était montrée odieuse à son égard. Au début, elle avait mis cette irritabilité sur le compte de l'absence de Sacha. Même si elle était totalement pour le fait que son fils passe du temps chez ses grands-parents, ils avaient toujours été si fusionnels que chaque séparation était difficile à vivre. Elle connaissait maintenant la véritable raison de ses changements d'humeur, ce qui ne l'empêchait pas de se sentir honteuse d'avoir agi ainsi.
- Désolée pour l'autre jour. Je ne voulais pas être aussi pénible.
- Ce n'est pas grave. J'ai réagi au quart de tour moi aussi, c'est ma faute.
- Non... C'est... C'est... Pas... Ta... Faute...
- Hey, ne pleure pas... Viens...
Il l'attira contre lui et Judith fut de nouveau prise de violentes nausées. Après avoir disparu dans la salle de bains quelques minutes, elle retrouva Ben dans la cuisine en train de préparer un petit déjeuner. La vue des fruits et du pain sur la table l'écœura au plus haut point. Il faudrait bien qu'elle mange quelque chose, mais elle savait d'avance que tout ressortirait aussi vite et elle n'avait plus la force de vomir encore.
- Tiens, j'ai préparé un truc vite fait, essaye de manger un peu. Tu as besoin de reprendre des forces.
- Je n'y arrive pas.
- Ce n'est quand même pas normal, tu devrais voir un médecin. Je vais commencer à m'inquiéter.
- Je ne suis pas malade.
Il se stoppa net dans son élan, une tartine à la main, la regardant sans comprendre. Ben était de toute évidence bien moins perspicace qu'Inès.
- Je suis enceinte.
Il n'y avait pas mille façons de le dire, surtout dans de telles circonstances. Elle avait annoncé la nouvelle à Ben sans passer par quatre chemins, d'une toute petite voix, sans oser le regarder dans les yeux, effrayée par sa réaction. Les yeux rivés sur un point imaginaire du mur de la cuisine, elle sentit tout à coup la main de Ben attraper la sienne. Sa tête tournait de plus en plus et ses jambes se transformaient en coton. Elle se demandait quand est-ce que ce bébé la laisserait reprendre des forces. Les bras de Ben l'empêchèrent de tomber, et elle osa enfin le regarder en face. Il ne disait rien, mais depuis toutes ces années, elle avait appris à le décoder. Elle voyait beaucoup de choses dans son regard, de l'inquiétude, de la surprise, mais surtout de l'amour.
Il la guida doucement jusqu'à la chambre et s'allongea auprès d'elle. Elle ferma les yeux, essayant de se débarrasser de cette désagréable sensation de nausée permanente. Il n'avait toujours rien dit. Il n'en n'avait pas besoin. La présence de sa main contre la peau nue de son ventre suffisait à balayer tous ses doutes.
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Tome 1 - Après le vide
RomanceLe cœur brisé par une relation destructrice et le corps meurtri suite à un terrible accident, Judith tente de recoller les morceaux de sa vie.