Chapitre 6

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A bout de souffle après l'ascension de ces trois maudits étages, Judith se sentait plus démoralisée et honteuse que jamais. Sa sœur l'attendait de pied ferme, fumant sa cigarette accoudée au rebord de la fenêtre. Une désagréable odeur de tabac emplissait la pièce et Judith soupira d'agacement. Si elle se fiait à l'expression figée sur le visage de Joséphine, elle pouvait deviner que cette dernière l'avait aperçue avec Ben et qu'elle allait avoir droit à des remarques cinglantes. Judith pensa qu'elle aurait mieux fait de repasser sous une voiture le jour où elle avait accepté d'héberger sa sœur.

- C'est qui ce mec ?

Bingo. Joséphine n'était pas passée par quatre chemins, comme à son habitude.

- Un ami.

- Il fait vraiment mauvais genre.

- Parce qu'il porte une casquette ?

- Tu sais très bien pourquoi je dis ça. Il a le même style que Tony. Ça me rappelle de mauvais souvenirs.
- Ben n'a absolument rien en commun avec Tony. Et je ne vois pas en quoi ça te regarde. Je n'ai pas besoin de ton approbation en ce qui concerne mes fréquentations.

- Je m'inquiète pour toi, tu fais toujours de mauvais choix.

- J'ai fait des mauvais choix et j'en ai tiré des leçons, crois-moi.

- Et bien tant mieux pour toi.

Judith soupira longuement, avant d'enchaîner. Elle devait briser la glace, cette situation avec sa sœur était devenue irrespirable.

- Écoute, Jo... Quand tu m'as appelée, tu as dit que tu avais compris plein de choses et que tu voulais repartir à zéro. Ce n'est pas l'impression que tu me donnes. Je n'ai clairement pas besoin de quelqu'un constamment sur mon dos à critiquer la vie que je m'applique à reconstruire.

Joséphine marqua un temps d'arrêt, semblant réfléchir aux paroles de sa petite sœur.

- Je ressemble beaucoup trop à maman.

- Aucun doute là-dessus.

- Je veux tout contrôler, je veux tout le temps atteindre la perfection... C'est pour ça que j'ai quitté Charles. Je me suis rendue compte que je prenais le même chemin que papa et maman, ça m'a fait cogiter, je n'étais plus certaine de savoir ce que je voulais. Je ne vivais que dans le paraître et ça ne me suffisait plus. Quand j'en ai parlé à maman, elle était furieuse que j'annule le mariage, elle s'inquiétait de ce que les parents de Charles allaient penser d'elle... Pas une seule seconde elle ne s'est souciée de moi, de comment j'allais. Charles n'a pas accepté ma décision, il m'appelait dix fois par jour, me surveillait à l'hôpital pour s'assurer que je n'avais pas rencontré quelqu'un... J'étouffais littéralement et j'ai compris pourquoi tu avais eu ce besoin de t'éloigner de nous. J'ai toujours agi selon ce que les parents attendaient de moi, sans envisager d'autres options. J'étais entrée dans le moule en quelque sorte, et depuis que j'en suis sortie, tout a changé... Je sais maintenant l'effet que ça fait d'être un paria aux yeux de la famille. Avec le recul, je m'en veux de t'avoir fait subir tout ça, de ne pas avoir été de ton côté.

Elle avait prononcé sa tirade d'une seule traite, sans adresser un regard à Judith. C'était la première fois que Joséphine se confiait ainsi. Elles avaient grandi ensemble, sans jamais rien partager. Tout restait à construire entre ces deux femmes qui étaient davantage étrangères que sœurs l'une pour l'autre. Touchée par ses aveux qui lui semblaient sincères, Judith s'était radoucie. Avec le temps, elle avait appris à vivre sans l'approbation de sa famille, pourtant elle ressentait toujours ce manque au fond d'elle, ce besoin de créer des liens.

- Et pour l'accident, je sais que tu as souffert. Honnêtement, quand tu étais en réanimation, on était tous au plus mal. On a eu peur de te perdre pour toujours, le temps s'est arrêté et on a fait bloc autour de toi. Mais je ne sais pas, quand on a vu que tu allais mieux, chacun a repris sa petite vie de son côté.

Tome 1 - Après le videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant