Tome 1 - Après le vide

Chapitre 21

Leurs yeux se croisèrent quand Ben releva la tête pour faire face à Judith. Elle fut incapable de déchiffrer la moindre expression à travers son regard. Il semblait complètement impassible, contrairement à Judith qui bouillonnait intérieurement.

Dans sa tête défilaient les images de leurs moments passés dans cette cage d'escalier : elle se revoyait portée sur son épaule, puis leurs baisers enfiévrés qui lui avaient fait perdre la tête. Quand il avait pris soin d'elle malade et lorsqu'elle avait ouvert la porte, le trouvant face à elle sur le palier. Elle pouvait presque sentir encore ses lèvres sur les siennes, leurs corps l'un contre l'autre et sa main dans ses cheveux. Elle pensait être en train de rêver et voilà qu'elle nageait en plein cauchemar.

Avec le retour de Liam et l'annonce de la libération de Tony, elle avait plus important à penser, pourtant, elle avait la sensation d'avoir reçu une gifle en pleine face tant elle était sonnée. La seule chose dont elle se sentait capable était de fuir le plus vite possible pour ne pas se confronter à cette réalité. Sans un mot, elle lui tourna le dos pour quitter le bâtiment sans plus de cérémonie. Un million de frissons parcoururent son corps quand la main de Ben se referma autour de son poignet. Elle détestait ce pouvoir qu'il exerçait sur elle.

- Pourquoi tu pleures ?

- Laisse tomber.

- Judith.

- Lâche moi !

Elle haussa le ton et tira vivement son bras pour se détacher de son emprise. Il la suivit dans les escaliers.

- T'es sérieuse là ?

Judith se dépêcha de sortir de l'immeuble, n'ayant aucune intention de régler ses comptes maintenant. Elle essuya d'un revers de main les larmes qui roulaient sur ses joues sans arriver à les stopper, submergée par les émotions. Il continuait à la suivre et semblait déterminé à obtenir une explication.

- Je te rappelle que c'est toi qui m'as planté hier !

Judith se retourna pour lui faire face, hors d'elle.

- J'avais mes raisons !

- Ouais, les bras du mec dans lesquels tu t'es jetée par exemple ?

Elle resta silencieuse un moment, choquée que Ben ait pu voir la scène de ses retrouvailles avec Liam. Elle admettait que la situation puisse prêter à confusion, mais il n'avait pas cherché à comprendre, il ne lui avait laissé aucune chance de s'expliquer... Incapable de reprendre ses esprits, elle voulait lui hurler que toute la nuit, elle n'avait pensé qu'à lui et que Liam ne représentait rien d'autre qu'un fantôme du passé à ses yeux. Les larmes continuaient de couler à flots et aucun mot ne sortait. Néanmoins, une question lui brûlait les lèvres.

- C'est pour ça que tu es rentré avec Elinor ?

- Je suis sorti pour t'attendre et je t'ai vu avec lui, ça m'a rendu fou.

- Tu ne m'as même pas laissé une chance de t'expliquer.

- Il n'y a rien à expliquer.

- Tu ne sais rien de moi...

- C'est justement le problème ! Je ne sais jamais ce que tu penses... Tu es froide, distante, j'ai l'impression que je te plais quand on passe du temps ensemble et après tu me laisses galérer pendant des semaines... Les meufs qui jouent sur deux tableaux, j'ai assez donné.

Son cœur se resserra dans sa poitrine. Sa mauvaise foi s'avérait déconcertante et Judith, bouleversée, avait toutes les peines du monde à se défendre face à ses attaques. Ses reproches étaient injustes. Certes, elle n'était pas la fille la plus entreprenante et démonstrative du monde, mais elle avait toujours été sincère avec lui. A aucun moment elle n'avait "joué sur deux tableaux". Elle n'avait pas réussi à lui montrer à quel point il lui plaisait. Dévoiler ses sentiments n'était pas chose aisée pour elle, et il l'intimidait tellement... L'intensité de ce regard sombre qui tentait de sonder ses pensées devenait si difficile à soutenir qu'elle préféra baisser les yeux.

Le ciel commençait à s'assombrir et bientôt les gouttes de pluies viendraient se mêler à ses larmes. Spectatrice de ce beau gâchis, elle ne savait pas quoi dire ou faire pour arranger les choses.

- Tu n'as rien à dire de plus ?

Si. Cependant, elle en était incapable. Lui expliquer, le supplier de rester en lui racontant toute l'histoire, en lui promettant qu'il était le seul à occuper ses pensées, à quoi bon ? Trop tard, le mal était fait. Il avait passé la nuit avec Elinor. Le simple fait de les imaginer ensemble lui tordait le ventre de douleur.

Il soupira longuement.

- Écoute, j'ai déjà eu mon lot d'histoires compliquées, je ne veux plus de tout ça. J'en ai marre qu'on me la mette à l'envers. Avec Elinor, c'est simple, sans prise de tête. Elle sait ce qu'elle veut, je sais ce qu'elle attend de moi...

Tout était si simple avec Elinor. Contrairement à Judith, elle allait toujours droit au but et ne tergiversait jamais. Elle remporterait le cœur de Ben avant Judith, c'était écrit d'avance. Une désagréable petite voix dans sa tête lui rappelait qu'elle avait laissé Elinor gagner un peu trop facilement, mais elle s'empressa de la faire taire. Elle n'avait plus la force de se battre.

La pluie tombait maintenant à grosses gouttes et Ben et Judith restaient face à face, à se regarder sans se comprendre, chacun gardant pour lui ses regrets bien cachés sous une couche de fierté. Judith avait toujours envie de se jeter dans ses bras et de l'embrasser pendant des heures, de lui dire qu'il s'était trompé sur toute la ligne et que ce qu'il avait vu hier n'était qu'un malentendu. Mais quelque chose avait changé... Cette colère qui montait en elle comme les flammes d'un incendie ravageur, finissait de la consumer et de balayer tous les sentiments qu'elle éprouvait.

- Tant mieux pour vous alors. Je vous souhaite tout le bonheur du monde.

Elle avait prononcé ces mots sur un ton sarcastique plein d'amertume qui ne lui ressemblait pas. Puis elle l'avait planté là. Il n'avait pas cherché à la retenir.

Elle détestait cette fin. Elle se détestait d'y avoir cru. Pourtant, elle le savait depuis le début. C'était beaucoup trop beau pour être vrai.