Chapitre 47

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La nuit était calme et aucun d'eux n'avait osé briser le silence qui régnait. Ben avait le regard baissé, mains dans les poches et capuche sur la tête. C'était étrange de marcher côte à côte, après de longues années sans se voir. Ils étaient comme deux inconnus, alors qu'ils avaient été si proches par le passé. Cette époque lui paraissait tellement lointaine qu'elle avait du mal à réaliser qu'elle avait vraiment existé. Laisser tout ça derrière elle avait été difficile, mais elle avait vécu tant de choses ces dernières années que ces souvenirs avaient fini par être relégués au second plan. Il avait fait le premier pas en lui proposant de la raccompagner, il attendait sûrement qu'elle se lance à son tour.

- Comment va ta mère ?

Il soupira longuement, Judith se doutait que le sujet était douloureux. Elle avait hésité à l'aborder, mais ne posait pas la question simplement pour meubler le silence. Elle était sincèrement inquiète, ayant toujours éprouvé énormément d'affection et d'estime pour cette femme.

- Elle garde le moral, elle donne le change. Elle a commencé la chimio la semaine dernière. Les médecins ne sont pas très rassurants. Tout le monde dit que ça va aller, qu'elle est forte et qu'elle va se battre mais c'est des conneries tout ça.

Judith n'avait pas besoin de voir son visage pour deviner qu'il était bouleversé. Touchée de le sentir si vulnérable, elle posa brièvement sa main sur son bras en geste de réconfort. Elle était passée par là aussi, même si ce n'était pas un de ses parents, elle pouvait facilement se mettre à sa place. Il était difficile d'être positif et de garder espoir quand tout s'écroulait autour.

- Tu sais, ce n'est pas moi qui vais te dire ce genre de phrase bateau... En tout cas je suis là, si tu as besoin de parler, ou d'autre chose. Je sais que je ne fais plus partie de ta vie, mais je veux que tu le saches.

- Pourtant, moi je n'ai pas été là pour toi, quand tu as traversé toute cette merde...

Pour cette raison, Judith avait toujours gardé une pointe de rancœur envers Ben. Ils avaient beau être séparés, son silence et surtout son absence dans les moments les plus importants et les plus difficiles de sa vie l'avaient heurtée. Elle avait naïvement espéré qu'ils seraient toujours présents l'un pour l'autre, même de loin. Elle avait choisi de faire sa vie avec un autre homme mais il avait toujours eu une place particulière dans son cœur. Elle était persuadée que ce lien si spécial qui les unissait ne se romprait jamais. La vie lui avait prouvé le contraire, ce qui l'avait laissée blessée et déçue. Aujourd'hui, elle réalisait qu'elle s'était peut-être trompée, il s'était retiré pour la laisser vivre son histoire avec Liam et elle s'était montrée égoïste de penser qu'il serait toujours son ami. Toutes ces années, elle avait nourri une animosité à son égard, mais le voir si triste ce soir atténuait ce sentiment.

- Je l'ai croisée, il n'y a pas si longtemps. Ça m'a fait plaisir de la revoir.

- Ouais, elle m'en a parlé. Tu n'imagines même pas comment elle m'a défoncé parce que je ne lui avais pas parlé de ton fils et de la maladie de Liam.

Judith rit de bon cœur, imaginant la scène. Quand elle avait croisé Anne en se baladant avec Sacha sur les quais de Seine, celle-ci avait été surprise de la voir avec un enfant. La pauvre ne savait plus où se mettre quand elle lui avait demandé si elle était mariée et que Judith avait dû lui répondre que le père de son fils était mort.

- Elle me reproche d'avoir agi comme un con et je pense qu'elle n'a pas tort. C'est un peu pour ça que je suis là aussi. Je pense que j'ai des excuses à te présenter.

- Ben, ne te tracasse pas avec ça. C'est du passé. Je ne vais pas te mentir, ton silence m'a blessé, et oui, je t'en ai voulu mais je pense que ça n'a plus tellement d'importance maintenant. On n'était plus ensemble et tu ne me devais rien. C'est juste que... Ça m'a fait mal de constater que tu m'avais rayé de ta vie.

- Je ne t'ai jamais vraiment rayée de ma vie tu sais... Mais si je suis complètement honnête, quand ton fils est né je me suis pris une claque, j'ai compris que tu avais continué ta vie de ton côté et que c'était mort pour nous... Ça n'a pas été facile à encaisser. J'ai supprimé tout ce qui me rattachait à toi parce que je ne pouvais pas continuer à te voir tous les jours et me rappeler à quel point j'avais merdé. Je n'avais pas le choix, je devais avancer. Et quand Liam est mort je... Je voulais t'écrire mais je n'ai pas trouvé les mots, je pensais que je n'avais pas ma place auprès de toi à ce moment-là... Je ne veux pas que tu penses que ça m'était égal, s'il y a bien quelqu'un qui ne méritait pas ça, c'est toi...

Judith avait écouté attentivement chacune de ses paroles, ses explications lui faisaient du bien. Rien ne serait plus comme avant, mais peut-être avaient-ils fait un premier pas vers un semblant d'amitié. Quoi qu'il en soit, elle ressentait une forme d'apaisement, un peu comme quand on rentre à la maison après une trop longue absence. Le silence avait de nouveau repris le dessus, les laissant seuls avec leurs pensées.

- Bon, on est arrivés.

- Je...

Il la regardait, gêné, semblant chercher ses mots. Elle vola à son secours. Les paroles n'étaient pas nécessaires, elle voyait dans son regard tellement de choses.

- Je sais. Moi aussi.

Il lui sourit.

- Merci, de m'avoir raccompagnée.

- Ce n'est rien. Ça m'a fait du bien de te parler.

- Bonne nuit Ben.

- Bonne nuit Ju. A bientôt.

- On se reverra à la fête prénatale la semaine prochaine j'imagine.

- C'est quand même un truc de malade, ta sœur a retourné le cerveau de César. D'où il organise des fêtes prénatales lui ? Elle l'a vraiment marabouté.

- César n'organise rien du tout... Elle fait tout à sa sauce et il n'a pas d'autre choix que de céder à ses caprices...

- Si on m'avait dit un jour que ces deux-là auraient un môme ensemble...

- Je pense qu'ils vont droit dans le mur, ça me rend tellement triste pour eux... Joséphine et César sont de bonnes personnes séparément, mais les deux réunis, c'est une vraie catastrophe.

- La pauvre petite, heureusement, elle nous aura comme parrain et marraine pour relever le niveau.

Judith sourit à sa remarque, en pensant à ce nouveau rôle qu'ils allaient bientôt partager. Ben lui souhaita à nouveau une bonne nuit avant de faire demi-tour.

Une fois chez elle, Judith se coucha vite, épuisée par cette soirée. Elle n'avait plus l'habitude de sortir aussi tard. Allongée dans son lit, elle peinait à s'endormir malgré la fatigue. Trouver le sommeil était chaque soir une épreuve, encore plus quand Sacha n'était pas là. Cette nuit, tout se mélangeait dans sa tête, Liam, Ben... Un peu sonnée par cette discussion inattendue avec Ben, elle se sentait comme au milieu d'un épais brouillard. Une partie d'elle éprouvait une certaine culpabilité. Que penserait Liam s'il pouvait la voir de là où il était ? Comment prendrait-il le fait qu'elle renoue avec celui qu'elle avait eu tant de mal à oublier, celui avec qui elle l'avait trompé ? Elle essaya de chasser cette idée de son esprit, à moins que le fantôme de Liam ne se décide à lui rendre visite, il n'était plus là et elle avait le droit d'aller de l'avant. Depuis son décès, elle n'avait jamais cessé de se considérer en couple avec lui. C'était probablement le cas de nombreuses personnes ayant perdu leur moitié. La vie les avait séparés injustement, mais l'amour qu'elle lui portait n'était pas mort, elle pouvait encore le ressentir. Judith avait beau se raisonner, cette culpabilité restait dans un coin de sa tête, bien tenace. Elle s'efforça de penser à autre chose pour dissiper cette sensation de malaise, et attrapa un des doudous préférés de son fils pour lui remonter le moral. Elle pensait aussi à la fille de César et de Joséphine, son cœur se réchauffait un peu à l'idée d'accueillir un nouveau membre dans leur famille si particulière. Judith était persuadée qu'elle serait entourée de beaucoup d'amour même si le ciel au-dessus de la tête de ses parents n'était pas au beau fixe. Grâce à cette alliance aussi improbable qu'explosive entre César et Joséphine, Ben et Judith auraient quelque chose de nouveau en commun : leur filleule. Ils allaient devoir réapprendre à se parler, construire une relation différente. Le lien était rétabli, le plus dur était passé.

Tome 1 - Après le videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant