𝒸𝒽𝒶𝓅𝒾𝓉𝓇𝑒 𝓃𝑒𝓊𝒻

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"J'ai découvert qu'il existait des peurs pires que celle du vide."

Afterlove, Tanya Byrne, 2022







𝒩𝑜𝓇𝒶𝒽

𝕸es genoux me faisaient mal. J'en étais à ma troisième heure accroupie au sol, à récupérer tous les joints de ma salle de bain avec une vieille brosse à dents. Cette obsession de récurer les moindres recoins de ce lieu se décuplait dans un espoir vain de le rendre aussi translucide que le palais. Le contraste ne quittait pas mes pensées.

Ou bien, je cherchais à me nettoyer moi, de toutes les saletés dans lesquels on allait encore me forcer à plonger. J'avais passé des heures sous l'eau à me laver, et mon ballon d'eau chaude était désormais complètement vide pour la semaine.

Ça m'importait peu. Tout ce que j'avais en tête c'étaient eux, leur vie, et tout ce que je ne savais pas encore. Tout l'inconnu qui se profilait devant moi. Je ne souhaitais pas connaître la source de sa blessure à la main, mais je n'avais pas beaucoup de doutes quant à sa provenance.

Je m'acharnai sur un angle de mur noirci par l'humidité. Les dents de la brosse se plièrent tant que son utilité en vint à être réduit au néant. Je continuai à frotter, encore et encore et encore, jusqu'à péter la branche en plastique en deux. Son extrémité rebondit au loin et le bout encore dans ma main glissa contre ma paume opposée, tranchant ma chair par sa coupure aiguisée.

Jurant entre mes dents, je relâchai la brosse à dents et inspectai la plaie. Du sang s'y écoulait abondamment. Une coupure petite, mais profonde. Je tirai du papier toilette et pressai l'ouverture. Le tissu s'en imbiba. Un rouge pourpre.

— Merde.

Je déroulai une partie de la bande de gaze qu'on m'avait léguée et fis un nœud serré autour de la blessure juste le temps que ça s'arrête de couler. Ma tête vacilla. Je ne croyais pas être sensible au sang, mais l'association d'un ventre vide et de plusieurs heures sous l'eau chaude malgré la chaleur extérieure ne faisait pas bon ménage.

L'eau dans la casserole commença à bouillir en même temps que mon ventre commença à hurler de faim. J'y versai les pâtes et mis ma sauce tomate à réchauffer avec le sel et le poivre que j'avais piqué au bar il a quelques mois.

En attendant que le tout cuise, je détaillai les murs, toujours à la recherche de ces fameux micros. Est-ce qu'ils existaient vraiment ?

— Shane ? tentai-je timidement.

Évidemment, je n'obtins aucune réponse. Mais peut-être m'écoutait-il.

— Ta patronne me fout une trouille monumentale.

Ma voix se perdit en écho dans le studio.

— Et j'espère qu'il n'y aura jamais d'huitres à vos restaurants, parce que ça me répugne plus que tout.

Je me servis une assiette et m'étalai sur mon matelas pour en manger d'énormes bouchées, affamée. La bouche pleine, peu soucieuse de mon élégance, je continuai :

— Je peux utiliser tes sept cents dollars pour m'acheter un téléphone ? J'en ai toujours voulu un rose.

Le silence me répondit.

— Je prends ça pour un oui, merci.

Je reposai l'assiette. La solitude était bruyante aujourd'hui. Pas de bruit du scooter d'Adeline ou des réprimandes de mon propriétaire. Mes collègues me manquaient... enfin presque toutes. J'eus l'impression d'être au-dessus de la terre, contrainte d'observer le désastre qui s'y déroulait. Je soupirai, l'estomac plein, et reposai ma tête contre le mur derrière moi. Ma peau moite collait à mes habits.

𝐀𝐁𝐘𝐒𝐒𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant