𝒸𝒽𝒶𝓅𝒾𝓉𝓇𝑒 𝓉𝓇𝑒𝓃𝓉𝑒-𝑒𝓉-𝓊𝓃

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"Je n'aime pas ce rêve.
— Mais qui vous a dit que vous rêviez ?"

Simetierre, Mary Lambert, 1989

















𝒩𝑜𝓇𝒶𝒽


𝔘ne abondante et dense pénombre me plongeait dans une obscurité effarante. Pourtant, le ciel était clair et le soleil tapait sur mes pieds. Assise sur le rebord de la fenêtre, j'observais la clarté extérieure tout en hurlant dans une obscurité intérieure.

Je revivais inlassablement cette même soirée depuis plusieurs jours et plusieurs nuits.

À chaque fois, les mêmes ressentis venaient couvrir ma peau d'une sueur froide et serrer ma gorge d'un sanglot coupable. Ses plumes ambitionnaient à m'étouffer tandis que ses ailes m'obstruaient la vue. J'y décelais encore son parfum agréable et ses prunelles émeraude. Mais ses actes écrasant mes volontés la transformaient et lui donnaient l'apparence d'un être dépouillé de toute moralité.

Le Corbeau et la Prostituée. Quelle triste fable cela ferait.

Pourquoi j'avais sauté dans le vide avec elle, les yeux fermés ?

Je l'avais sentie me soulever du sol, m'emportant loin des repères que j'avais mis tant d'années à dresser ici, entre les murs de ma propre réalité.

Tout partait en fumée sur son passage. Le lieu où je vivais, mes amitiés, mes études. Il ne restait que poussière du monde dans lequel j'avais vécu.

Et tout ça pour quoi ? Pour quoi est-ce que j'avais baissé ma garde ? Pour quoi est-ce que j'avais fondu dans ses bras ? Accepté d'être séduite ? Mordu ma langue pour ne pas trop parler, allégé mes pas pour ne pas l'agacer. Pour quoi est-ce que j'avais tant voulu la connaître alors qu'on m'avait prévenu maintes fois qu'elle cohabitait avec une éthique douteuse au même titre que ces hommes avec qui j'avais partagé mes derniers rires ?

Pour... de l'argent.

Tout ça pour de l'argent.

Et pour elle.

Car quoi que je fasse, je courrais derrière ce qui était aussi sale que moi, aussi sale que le reflet que j'étais persuadée de renvoyer.

Sa chaleur me réchauffait le cœur et l'âme meurtrie que je portais difficilement à bout de bras depuis des années. Elle l'avait allégée le temps de quelques jours. Et j'avais oublié pourquoi je devais craindre les habitants du palais.

Je détestais ça. Ma naïveté, et cette mielleuse envie de croire que tout le monde méritait une chance de se rattraper.

Elle m'avait volé ma justice, forcé à être témoin d'une nouvelle violence, et peu m'importait qu'on m'ait prévenu que l'homme qui m'avait touché et qu'elle avait agressé était dans un état stable. Peu m'importait qu'elle n'ait pas commis le pire. Elle ne m'avait pas écouté. Elle avait fait les choses à sa façon, comme tous ces hommes qui avaient traversé le chemin de ma pitoyable existence.

L'assiette qui reposait sur un plateau au bout de mon lit avait à peine été touchée. L'estomac noué depuis quelques jours, je ne mangeais que le strict nécessaire pour ne pas m'effondrer lorsque je passais du lit à la douche, ou de la douche au rebord de la fenêtre.

Mes yeux bouffis par les intenses cascades de larmes que je versais chaque nuit rendaient ma vision nébuleuse. Mes lèvres pincées ne souriaient plus. Et la colère me rongeait de l'intérieur.

𝐀𝐁𝐘𝐒𝐒𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant