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♫Do, ré, mi, la perdrix ♪
...
— Vous vous souvenez de moi ?
Rosemary observa à travers sa voilette l'agent du service des Anomalies. Une femme aux cheveux noirs striés de blanc, au visage creusé de rides et à l'uniforme gris et garance impeccable.
— Non.
Elle n'avait pas envie de s'en souvenir. Depuis son arrivée dans l'immense bâtiment administratif, une désagréable impression de déjà vue lui serrait le cœur, mais aucun souvenir précis ne revenait. La petite salle où on les faisait attendre lui était cependant familière et désagréable.
— C'était il y a...
La femme réfléchit. Ça, Rosemary le savait : dix ans. En toute logique. Même si elle n'en avait pas le souvenir précis, elle connaissait la procédure, elle était venue ici.
— ... environ dix ans. Je m'étais occupée de vous.
Vraisemblablement, Mémé avait scellé quelques souvenirs. Sous quel buisson de ronces, d'orties ou de ciguë se trouvait enterré le flacon de ce merveilleux souvenir ? Que s'était-il passé.
À ses côtés, Monsieur Homont-Duprez avait le visage figé. Aucune émotion ne perçait. Lui devait se souvenir, sans doute avec une certaine satisfaction d'ailleurs, ou horreur, ou les deux...
— Comment va votre... heu... la...
La femme hésita.
— Marie va bien.
Monsieur Homont-Duprez frémit à cette évocation, donnant sans le vouloir une prise à Rosemary. Elle reprit la parole.
— Elle aurait été ravie de pouvoir m'accompagner, de retrouver la maison familiale, mais...
— Elle est assignée à résidence au Domaine du Possible, la coupa son père.
Il respirait fort malgré les trésors de contrôle de lui-même dont il faisait preuve.
— Je me souviens de vous deux, de votre arrivée... reprit l'agent d'un ton pensif.
La joue de Monsieur Homont-Duprez tressauta.
— ... Ce n'est pas tous les jours que l'on voit une anomalie d'une telle ampleur. Quel imbroglio juridique ce fut...
La femme parlait, oubliant qu'elle parlait aux personnes concernées et non à d'autres agents.
— ... Que faire de l'anomalie ?
— Marie est une personne, pas une anomalie !
La femme pâlit en revenant à la réalité, se souvenant à qui elle parlait.
— Je... euh... je vous prie de m'excuser.
Elle avait l'air sincèrement contrite. Un silence gêné s'étira. Monsieur Homont-Duprez regarda ostensiblement sa montre et la remit avec un geste agacé dans sa poche. L'heure du rendez-vous était passée et en attendant on les avait placés sous la surveillance de ce garde-chiourme bavard dans une pièce qui ressemblait à un placard.
Rosemary avait bien pris garde à ne pas leur prêter attention, mais derrière la porte divers agents défilaient pour venir l'observer. Oui, elle savait, elle était célèbre pour ces gens. Un cas d'école. Sa présence dans les locaux devait avoir éveillé les curiosités et c'était le défilé pour tenter de l'apercevoir.
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Le Domaine du Possible-1 (Dark-Romantasy)
FantasyPartie 1 : Le temps des souvenirs Le 10 avril 1903, un entrefilet dans le quotidien "La dépêche de la Vallée" annonce les fiançailles de Rosemary et de Paul-Jean. Cela aurait été merveilleux pour eux, enfin peut-être, sauf qu'ils ignorent tout de l'...