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♫ le facteur n'est pas passé, ♫

...

— Je reprendrai la couture sur l'épaule droite, pour éviter que cela fasse un pli disgracieux avec l'étole.

La couturière piqua savamment deux épingles dans la fine mousseline ivoire. En voyant son reflet, telle la femme de Loth se retournant pour voir la destruction de Sodome, Rosemary s'était transformée en statue de sel. Tout signe de vie avait quitté son corps. Immobile, livide et sans émotion.

La couturière ne savait comment réagir.

— Vous serez une mariée ravissante.

Elle n'obtint aucune réaction.

La pièce était baignée dans une clarté de gris et de bleu triste. Dehors, les nuages sombres roulaient dans un ciel d'orage. Il avait plu et l'odeur du petrichor et de l'océan se mêlait. L'air frais entrait par une fenêtre entrouverte et chassait la chaleur accumulée depuis plusieurs jours.

Dans le salon transformé en gynécée, Madeleine observait la séance d'essayage d'un regard absent. Dans ses bras, le seul être masculin autorisé à pénétrer les lieux se fichait pas mal de la robe de mariée. Octave, affamé, s'accrochait au sein de sa mère.

La couturière piqua d'autres épingles sans un mot supplémentaire. Nul besoin d'être devin pour comprendre que la situation n'avait rien de festive.

Madame Mère était restée postée à côté de la porte après avoir fait sortir ses filles de la pièce. Le calme. La tranquillité... Son visage n'exprimait aucune émotion, cela était impensable en présence d'une personne étrangère, cependant Madeleine commençait à connaître suffisamment sa belle-mère pour comprendre qu'elle était inquiète.

La couturière s'écarta pour voir le résultat, scrutant l'étoffe pour repérer les derniers ajustements à réaliser. Visiblement satisfaite du résultat, elle posa la pelote d'épingles sur le guéridon. Elle tira d'une élégante boîte en cartoline nacré le voile vaporeux en fin tulle brodé.

Madeleine retint sa respiration.

Rosemary accepterait-elle d'aller au bout de ce ridicule cérémoniel ? Jusqu'où était-elle capable de tenir ?

La domestique déploya la précieuse étoffe translucide et en recouvrit la future mariée.

Immobilité.

Silence

Le vent du large agrippa le tissu, l'agita et le fit glisser sur la silhouette pétrifiée de la jeune femme.

L'instant se brisa dans un sanglot.

Madame Mère se précipita vers Rosemary et lui attrapa le bras.

— Venez vous asseoir !

Rosemary réagit comme si on l'avait frappée.

— Non !

D'un geste brusque, elle libéra son bras.

— Qu'on m'enlève ce... cette... chose.

Madeleine était à la fois admirative et effrayée par cette demoiselle de pierre. Malgré toutes les fissures, malgré tous les coups, elle tenait debout. Elle n'était pas de son monde, certes, mais y avait-il un monde où elle n'aurait pas eu l'air « autre » ?

La couturière défit avec dextérité la longue rangée de boutons de nacre. Sans s'embarrasser de pudeur, Rosemary se débarrassa de la robe comme si elle avait été constituée de flamme et de braise et la jeta à terre loin d'elle.

Le Domaine du Possible-1 (Dark-Romantasy)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant