Chapitre 36 : La vérité, rien que la vérité, toute la vérité (partie 2).

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La deuxième partie de la soirée battait son plein depuis une petite heure déjà. Après l'ultime passage d'Erina et quelques autres mannequins, le défilé s'était terminé par un retour sur scène de toutes les jeunes femmes qui avaient paradé dans la nouvelle collection prometteuse avec, cette fois, la fameuse styliste à leur côté. En réalité, il n'y avait pas qu'une seule créatrice. Ils étaient trois. Deux femmes et un homme. Un trio des plus vaillants et qui trouvait sa force et son identité si unique dans un mélange des genres. Le défilé avait eu un très grand succès et fut couronné par les applaudissements frénétiques qui secouaient les convives d'un bout à l'autre de la salle. Les jeunes femmes présentes sur scène se dispersèrent, retournant dans les loges pour enfiler une tenue de cocktail, laissant les concepteurs de ces sublimes vêtements sur le podium à profiter de leur triomphe. Puis le retour des lumières ayant officiellement clôt la première partie de la soirée, les journalistes s'étaient empressés de se ruer vers l'estrade, désirant ardemment être le premier choisi pour recevoir la première interview de ces si brillants modistes. Les autres invités avaient alors délaissé leurs chaises pour se diriger vers les tables de cocktails où se déroulerait la deuxième partie de la soirée.
Seiji et Hiroto avaient patiemment attendu que le gros de la troupe se dégage pour bouger à leur tour. Seiji espérait croiser Selma pour lui signifier que la partie pouvait commencer alors qu'Hiroto souhaitait simplement gagner du temps et se composer sur le visage le digne masque de fer semblable à celui qu'il tentait d'ériger autour de son cœur. Il ne l'avouerait jamais – pas même sous la contrainte – mais voir une certaine personne bel et bien accompagnée par un gros connard l'avait tout de même chamboulé. Il avait espéré secrètement que ce qu'il avait appris lors d'un certain appel téléphonique n'était que mensonge et pure fable de la part d'un arbitre prétentieux mais la soirée venait de lui afficher la cruelle réalité devant les yeux. Kilari n'avait pas été longue à tourner la page. Page qu'il avait du mal, lui, à arracher, bien qu'il s'en défende, aussi se reprocha-t-il cette nouvelle faiblesse.
Bras croisés, les jambes tressautant nerveusement, il pesta intérieurement contre lui-même. Il prenait une décision capitale cinq minutes plus tôt et était parfaitement incapable de la tenir ! Mais depuis quand était-il devenu si faible ?
Il se redressa sur sa chaise, faisant comprendre à son acolyte qu'il était prêt à rejoindre les autres convives, et son regard ripa sur les chaises presque vides face à lui. Un sourire sardonique étira ses lèvres. Evidemment, elle n'avait pas attendu pour disparaître. Bien, au moins cela indiquait qu'elle n'avait pas la conscience tranquille !
Hiroto se leva lentement et se tourna vers Seiji qui, debout, ne cessait de fixer une des deux extrémités du podium.

Hiroto : Rassure-moi, tu sais que c'est terminé et qu'elle ne reviendra pas juste pour tes beaux yeux ?

Son ami haussa un sourcil, jaugea le beau brun et retint in extremis un « parle pour toi » mais se souvint à temps que le but de cette soirée était de calmer les esprits. Pas de jeter de l'huile sur le feu ! Il se contenta de hausser les épaules mais ne bougea toutefois pas d'un iota.

Hiroto : Vraiment, Seiji ? On va attendre Erina ici, planté en plein milieu d'un parterre vide ?

Seiji : Je n'attends pas Erina.

Devant l'air franchement étonné du garçon, Seiji se souvint qu'Hiroto ne devait probablement pas être au courant des dernières péripéties de leur petit quatuor... Il n'avait pas le temps de tout lui expliquer maintenant, d'autant plus qu'il apercevait, là-bas, consciencieusement cachée derrière un épais rideau noir, un reflet fauve. Il hocha la tête puis se détourna.

Seiji : Tu sais quoi Hiroto ? En fait, si, allons voir Erina !

Il remonta les rangées de chaises, Hiroto sur ses talons.

Hiroto : Alors y'a vraiment un truc entre vous ?

Seiji tiqua à cette simple évocation. De fait, il ne saurait pas répondre à ça. D'une part, lui-même devait bien avouer que depuis quelques mois, il s'était diablement rapproché d'Erina Ogura. Sans ajouter qu'elle le troublait énormément. Doux euphémisme ! Il ne savait penser qu'à elle, et elle l'agaçait autant qu'elle le charmait. Sauf qu'il y avait eu cette satanée pagaille au milieu de tout ça, et il avait bien peur que tout ne soit trop écharpé pour que quoi que ce soit de positif ne sorte de tout cela.

Hiroto – sur un ton graveleux : Si je dois jouer les Cerbères devant la porte des coulisses, dis-le-moi tout de suite. Si vous avez besoin d'être seuls, je peux...

Seiji : Te taire. Ou éventuellement aller voir Kilari ?

Face au mutisme de son camarade, Seiji s'arrêta en bord de scène et dégaina son portable.

Hiroto – marmottant : Venant de toi, c'était bas.

Seiji : Une chance que tu m'apprécies assez pour ne pas avoir envie de me casser la gueule.

Hiroto : Je réfléchis encore. Tu fais quoi ?

Seiji tapotait sur son portable un message qu'il adressa à Kilari, prenant bien soin d'en cacher le contenu à son ami. Puis il rangea le cellulaire et reporta toute son attention sur Hiroto.

Seiji : Ok Hiro. Quoi qu'il se passe dans ces loges, promets-moi de ne pas partir tant que je ne t'aurais pas donné l'autorisation.

A voir la tête abasourdie que tira le beau brun, Seiji comprit qu'il avait mal présenté les choses. Le manque de temps et le mélange excitant d'adrénaline et d'angoisse se mélangeant dangereusement les uns aux autres, il fronça les sourcils, comptant sur le sérieux d'Hiroto pour percer les présupposés. Tout perdu qu'il était, cet idiot devait bien se douter que rien de tendancieux n'adviendrait entre quiconque en public !

Seiji : Tu comprendras tout seul, mais promets-le. Bien, – conclut-il après la confirmation muette d'Hiroto – à partir de maintenant plus personne ne parle. Coupe ton portable.

Et il s'engouffra derrière le rideau, dans l'obscurité mystérieuse des loges. Hiroto se retourna vers le reste de la salle. A quoi jouait Seiji, il n'en avait pas la moindre idée. Mais c'était Seiji et s'il lui demandait de le suivre en enfer... Et bien... disons qu'il finirait par l'y suivre. Amusé mais plus que tout intrigué, Hiroto passa à son tour derrière le rideau.


Kilari commençait à trouver le temps long. Peter l'avait plantée là, lui disant qu'il allait leur chercher des rafraichissements, mais force lui était d'admettre que du garçon ou des verres, il n'y avait nulles traces ! Elle soupira. Dire que pendant le défilé elle l'aurait presque embrassé de reconnaissance pour l'avoir si généreusement distraite !
Elle fit la moue. « Embrasser » n'était peut-être pas le bon mot. Bien sûr, elle appréciait l'aide qu'il lui avait apportée si inopinément... mais même après ce soir, elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas embrasser Peter. Leur dernière entrevue l'avait assez mise mal-à-l'aise pour qu'elle ne souhaite pas aller plus loin avec lui. D'ailleurs, sans jouer les divas, la faire attendre ainsi n'était pas très galant ! Voilà presque dix minutes qu'elle l'attendait, tout de même !
Sa pochette vibra contre ses côtes.
Seiji venait de lui envoyer un nouveau message. Il souhait qu'elle le rejoigne dans les loges, avec Erina. Il ajouta quelque chose sur de la discrétion qu'elle ne saisit pas vraiment. Tant pis ! Au moins venait-il de lui donner un objectif et elle lui en était cruellement reconnaissante. C'est fou ce que c'est gênant de rester debout, en plein milieu de plusieurs groupes qui parlent et rient quand on est soi-même seul...
Elle contourna plusieurs personnalités, salua quelques producteurs et sponsors avec lesquels elle avait travaillé et s'écarta un peu de tout ce petit monde pour avoir une vue d'ensemble. Erina ne devrait pas être trop difficile à trouver. La styliste de l'agence lui avait donné une robe à la coupe vintage et sobre mais fort élégante et parfaitement adaptée à la morphologie de la demoiselle. Et au milieu de ces longues robes sophistiquées et toutes plus colorées les unes que les autres, la jupe champagne de Erina se démarquait par sa simplicité. Elle trouva sa cible et attendit que celle-ci se sente épiée pour lui faire signe. Lorsqu'elle l'eut rejointe, elle lui annonça de but en blanc :

Kilari : Seiji nous demande dans les loges.

Erina : Pardon ?

Kilari resta coite un moment.

Kilari : Comment tu fais ça, sérieux ?

Erina : Re-pardon ?

Kilari : Ça. Mettre autant de dédain et de dépit dans un seul mot ?

Erina : L'expérience. Ou le culot de ce que tu m'annonces. Seiji nous demande ? Il se prend pour qui ? Dieu ?

Ce n'est qu'à ce moment-là que Kilari se dit que la discrétion dont parlait Seiji devait s'adresser à Erina. Oui. Evidemment. Quelle idiote ! Comment allait-elle rattraper ça, maintenant ? La jeune chanteuse se mordit la lèvre devant sa gaffe et cogita intensément. Il y avait toujours la solution ultime : employer la force. Cela dit, elle n'était pas sûre de gagner face à Erina. Du coin de l'œil, elle jaugea son adversaire. Non, Erina était bien plus forte qu'elle.

Kilari : Comment tu fais pour ne pas mincir, en plein chagrin d'amour ?

Les yeux d'Erina s'étrécirent et lancèrent des flammes.

Kilari : Merde, j'ai pensé à voix haute, c'est ça ?

Erina : Mais qu'est-ce que tu fous ? On est censé s'épauler, pas s'envoyer l'une l'autre dans la gueule du loup, et toi tu veux qu'on aille voir Seiji ? Et de quoi tu parles, c'est quoi cette idée de « chagrin d'amour » à la con ? Où t'as vu un chagrin d'amour, ici ?

Kilari : Oups.

Erina : Je tombe devant une telle argumentation. Attention, je suis à deux doigts de céder. – Devant le regard enjoué de Kilari, Erina se sentit obligée, quoique franchement dépitée, d'ajouter – non, Kilari, c'était de l'ironie.

Kilari soupira et inclina la tête pour mieux réfléchir. Elle se faisait l'effet d'être une véritable gourde quand elle aperçut son soi-disant chevalier servant de la soirée se diriger vers une porte menant aux loges, à l'autre bout de la salle, à l'extrémité de la scène improvisée. Mais où pensait-il donc aller chercher leurs verres ?! Elle s'apprêtait à le héler quand elle remarqua enfin qui le suivait.

Kilari : Oh putain ! Viens !

Elle choppa au vol et sans grande délicatesse la main d'Erina, qui ne put se désister, et la traina à sa suite, en direction des loges.


A l'intérieur, la chaleur était étouffante. Une trentaine de mannequins avaient afflué ici, il y avait à peine une heure de cela, et cette atmosphère lourde typique d'une pièce sombre et remplie se faisait toujours sentir dans l'air. Selma attendait, le cœur tambourinant follement dans la poitrine. Elle savait que Seiji n'était pas loin et comptait sur elle. Elle se doutait que Winnie et Peter ne tarderaient pas et redoutait le moment de leur arrivée. Elle avait peur de flancher. Plus elle repensait à ce qu'elle s'apprêtait à faire – trahir son amie – plus elle se sentait mal. Physiquement mal. Son cœur lui remontait dans la gorge, se présentait à ses lèvres. Et pourtant, faible qu'elle était, un délicieux plaisir se diffusa dans son ventre quand elle songea que Seiji serait à elle après tout cela. Oh, Winnie bouderait c'est sûr. Lui en voudrait aussi, mais pas longtemps. Elle avait déjà eu ce qu'elle voulait, tant pis si elle n'allait pas plus loin. Quant à Peter... Bah, ce n'était pas la peine de le prendre en considération. Il n'était probablement qu'un opportuniste et puis, il ne lui était rien.
Essayant de se calmer, elle tendit la main vers un disque de coton, l'imbibant de liquide pour commencer à se démaquiller. Elle doutait que quiconque veuille profiter du reste de la soirée et ce, quelle que soit l'issue de ce qui venait.
Un gloussement la prévint que Winnie arrivait. Elle l'entendait marcher en sautillant entre les rangées de cintres, Peter sur les talons. Elle ferma les yeux, et pria brièvement pour que tout soit rapide. Lorsqu'elle les rouvrait, Winnie apparaissait dans l'envers du miroir.

Winnie : Meuf, t'étais tellement canon !

Winnie lui plaqua une petite tape amicale sur la joue et, la saisissant aux épaules, la secoua dans tous les sens. Selma se mit à rire elle aussi.

Peter : Elle a raison, tu étais magnifique. Très classe.

Winnie : Ouais, rien à voir avec l'autre poteau électrique de fausse violine, là !

Un bruit étouffé leur parvint du fond de la pièce et ils se retournèrent tous les trois, scrutant attentivement les profondeurs obscures qui leur faisaient face. La jolie rouquine savait qu'ils étaient observés, après tout Seiji et Hiroto étaient déjà là bien avant l'entrée de Winnie et Peter. Restait à savoir où ils étaient exactement. Le beau blond s'était refusé à le lui dire, arguant que si elle était au courant, son regard n'aurait de cesse de trainer dans leur direction et de tout faire capoter. Vu la conversation, elle déduisit que ce devait être les filles qui, arrivées en dernières, s'étaient cachées parmi accessoires et autres vêtements qui s'accumulaient dans le fond.
Après un silence qui s'éternisa, Selma se racla la gorge, détournant des ténèbres l'attention de ses deux compères.

Selma – maladroitement : C'est gentil d'être venus me voir, merci. Bon, hum... Et maintenant, Winnie ? Qu'est-ce qu'on fait ? Je veux dire... ton plan ne m'incluait que jusqu'au défilé. Je deviens quoi moi, désormais ?

Winnie hocha la tête et croisa les bras.

Winnie : C'est vrai, parlons peu parlons bien. On a quand même été vachement efficaces en si peu de temps et...

Selma – la coupant : Peu de temps... Tout ça commence à dater tout de même, depuis le stage d'Hiroto...

Winnie : Oui, et comme je te disais, en si peu de temps, quelques mois à peine, on a réussi à virer Hiroto et Erina des griffes de cette empotée grassouillette !

De nouvelles exclamations stoppèrent le trio dans leur élan. Peter, méfiant, se détourna plus que les autres et s'avança légèrement pour aller voir s'ils étaient vraiment seuls quand Selma, paniquant légèrement, se mit à parler plus fort en espérant couvrir les indiscrétions des nouvelles-venues. Si elles continuaient ainsi, le stratagème de Seiji n'aurait pas le succès escompté et il ne pourra nullement l'en blâmer elle !
Secouant la tête pour reprendre le fil de la conversation et se concentrer un peu plus, elle prit son temps pour articuler et parler haut.

Selma : Mais maintenant qu'Hiroto et Kilari ont coupé les ponts et qu'elle est privée du soutien de Erina, c'est terminé non ?

Winnie – sceptique : Pourquoi tu parles si fort ? On est juste à côté...

Selma : Désolée, l'adrénaline du défilé n'est pas encore redescendue.

Winnie accepta l'excuse. Elle connaissait très bien la chose pour l'avoir vécue tant de fois. A la sortie du podium, on a l'énergie suffisante pour alimenter une centrale électrique tant on se sent belle et désirable ! Ce qui lui fit penser à ce moment si particulier, vécu il y a plusieurs mois aux Etats-Unis, où un abruti l'avait dépossédée de cette sensation si exquise...

Winnie : Tu sais très bien pourquoi je ne m'arrêterai pas à ça. Cette fille est un poison et c'est ma mission de ruiner sa vie comme elle a ruiné la mienne.

Peter, qui se contentait d'écouter leurs bavardages depuis le début, se demanda ce qu'il faisait là. Et puis, quitte à écouter Winnie parler de vie ratée, autant qu'elle joue correctement la comédie et y mette plus d'émotions. Elle semblait aussi désespérée que quelqu'un venant tout juste de découvrir qu'il remportait une incroyable somme d'argent – autant dire qu'elle allait très bien ! Il ne put s'empêcher de lui en faire la remarque.

Peter : C'est quoi exactement, comme vie ruinée, que t'as ? Parce que si je ne m'abuse, t'as le temps d'être en vacances dans un pays étranger, puisqu'il n'y a que Selma qui bosse vraiment, ici.

Winnie : Je suis ici incognito, idiot.

Peter : Oui, et ? C'est quoi, ta motivation à tout ça ? La vraie de vraie.

Winnie jaugea le garçon. Valait-il la peine de répondre ? En outre, elle pensait qu'il avait compris tout seul comme un grand. Ce n'était visiblement pas le cas.

Selma – insistante : Dis-lui. Tant qu'on y est, on peut tout avouer.

Selma encouragea son amie métisse d'un hochement de tête et celle-ci fronça les sourcils.

Winnie : C'est pas une soirée pyjama. On reparlera de ça plus tard.

Peter : Je peux te dire mes raisons, si tu veux.

Selma – au même moment : Dis-lui.

C'est alors que Winnie le sentit. Ses oreilles se tendirent d'elles-mêmes. La situation lui semblait bien trop étrange pour être tout à fait normale. On l'encourageait bien trop à son goût à se confesser pour que ce soit simplement anodin.
De nouveau, un bruit se fit entendre dans le fond de la salle. Une sorte de petit roulement bref, suivit d'un grincement de cintre sur un portant mobile et un bruit sourd de tissus qui se froissent. Quelqu'un les épiait depuis le début et à voir la tête de Selma, celle-ci le savait. Winnie releva la tête. Elle était prête à parier que le grand blond coincé se cachait là-bas. Elle soupçonna, le temps d'un battement de cils, qu'il était venu rendre une petite visite à son amie et qu'il les avait interrompus, sauf que lorsqu'ils avaient débarqué, tout feu tout flamme, Selma était en train de se démaquiller. Or, c'était une chose qu'on ne ferait pas si on avait un galant dans le coin ! Non, s'il était là et que Selma était au courant, c'est probablement parce qu'elle avait craché le morceau sur toute l'histoire.
Winnie inspira longuement. Bon, elle l'avait sous-estimé, celui-là. Et elle avait aussi sous-estimé le coup de cœur que Selma lui portait. Elle s'obligea à compter calmement jusqu'à trois. Alors seulement elle explosa.

Winnie – rugissant : On peut savoir ce que tu fous, Selma !

Peter sursauta devant le changement brusque d'attitude chez la meneuse de leur petit trio, ce qui agaça plus fortement encore Winnie.

Selma – implorante : Réponds-moi simplement Winnie, je t'en prie.

Winnie – mordante : Vendue ! On peut savoir à qui je réponds exactement ?

--- - d'une voix grave non loin d'elle : Réponds.

Des frissons parcoururent Winnie. Elle les sentit, désagréables, courir dans sa nuque, descendre le long de ses épaules jusque sur ses avant-bras. De ses dents, elle se pinça la langue de rage tout en se retournant vers le nouveau venu qui n'était pas seul. Derrière Hiroto, légèrement sur sa gauche, elle apercevait Seiji dont le visage déterminé lui indiquait qu'il était de mèche avec sa traitresse de copine. Elle reporta son attention sur le jeune homme qui lui faisait directement face. Hiroto avait un visage si fermé qu'elle fut décontenancée l'espace de deux secondes et demie. Quand il lui arrivait d'imaginer se faire prendre, elle avait toujours pensé que le beau gosse serait dans une fureur telle qu'il ne ferait que lui aboyer dessus. Il n'y avait qu'à voir sa ridicule réaction ce fameux jour où elle s'était ouvertement moquée de Kilari à Central Park. Il avait donné l'impression de vouloir lui déchirer la gorge. Il y avait quelque chose de violent dans son regard mais – Dieu merci – à cette époque-là, il était muselé par ses propres bêtises. C'est pourquoi elle avait parfois craint que le jour où tout serait découvert serait aussi son dernier sur terre...
Or Hiroto semblait en colère, mais pas furieux. Aucune trace de cette rage étouffante qu'elle avait cru déceler quelques mois plus tôt. Elle comprit seulement à ce moment-là combien son stratagème avait fonctionné. Tout était brisé entre Kilari et Hiroto. Voilà pourquoi il ne surréagissait pas. Pour peu, elle aurait bien exécuté une petite danse de la joie ! Rusée, elle tenta le tout pour le tout et poussa sa chance jusqu'à s'approcher de lui.

Winnie : Hiroto, quelle bonne surprise ! Tu vas bien ? - Portant une main sur le visage du jeune homme. Il ne broncha pas, se contenta de la suivre de ses yeux bruns et elle s'enhardit face à son silence. – On peut la voir cette petite cicatrice qui doit être si diablement sexy ?

Seiji : Il a tout entendu. Pas la peine de sortir la panoplie de la pimbêche aguicheuse, ça ne prendra pas.

Il s'était rapproché d'Hiroto doucement mais s'était placé selon un angle peu naturel si l'on suivait sa progression. Il était donc là en soutien. Mais de qui ? D'Hiroto ou d'une tierce personne se cachant encore dans l'obscurité ? Elle devina, à voir comment Seiji se tenait, qu'il cachait volontairement leur petit groupe à celle qui devait très probablement piaffer d'impatience depuis le début de leur petite réunion.
La fauteuse de troubles se troubla, quelle ironie ! Winnie devait s'avouer vaincue. Elle ne voyait plus très bien comment elle pouvait s'en sortir. Elle se retourna vers Selma, dépitée.

Winnie : Tu demandes pourquoi j'ai fait tout ça, c'est bien ta question ?

Selma hocha la tête.

Winnie : Par où commencer ? – Se tournant vers le coin sombre d'où parvenait tous ces bruits parasites entendus plus tôt, elle lâcha de sa voix la plus claire, défiant au passage Seiji de l'arrêter et s'adressant d'une inclinaison de la tête au leader des Ships – mais parce que tu t'es comporté comme un connard avec moi, Hiroto. Tu sais, après qu'on a couché ensemble.

Elle savoura le silence anormalement assourdissant qui suivit cette annonce. Elle alla même jusqu'à se féliciter ; elle avait toujours su récupérer l'attention de son auditoire, quel que soit son âge. C'était un vrai talent chez elle, un don. Elle ricana en entendant un son étouffé provenir du fin fond des loges et qui lui donna l'impression d'écouter un petit animal blessé. Elle s'en délecta, affichant un sourire malsain qui dégouta Seiji et fit grimacer Hiroto.
Un bordel sans nom se déclara du côté de la porte arrière, celle par laquelle la plupart des protagonistes ici présents étaient entrés. Quelques grommellements fusèrent et chacun put discerner une voix vibrante de colère annoncer à l'autre cachée dans la pénombre qu'elle allait « s'en charger pour elle ». Et là-dessus débarqua Erina, remontée à bloc et s'avançant d'un pas si décidé qu'elle laissa presque Kilari sur place.
Le visage de Winnie se tordit en une moue de répulsion à la seule vue de Kilari.
Kilari. Cette pauvre petite chose dégoulinante de bonheur et d'amour, dont les yeux allaient jusqu'à crier sur tous les toits l'amour qu'elle portait à cet abruti d'Hiroto. Elle en était écœurante. Comment Hiroto avait-il pu céder à... ça ?! Elle ne comprendrait jamais.
Bien décidée à ne pas se laisser démonter par la colère froide et hostile qu'affichait Erina, l'Américaine ne put s'empêcher de la piquer au vif :

Winnie : Toujours aucune grâce dans la démarche. C'est la nouvelle mode, le style camionneur, pour les défilés ?

Erina : Et les nez refaits, connasse ?

Et de lui coller une gifle dont le claquement retentit dans toute la pièce.
Le geste ne soulagea même pas Erina. Ou du moins pas autant qu'elle l'avait escompté. Elle avait trop de choses à déballer pour s'arrêter là. Malheureusement, comme Kilari le lui avait bien dit avant de quitter leur cachette, il ne fallait pas gaspiller quoi que ce soit pour cette peste.
Cette peste ! Erina fulmina. C'était bien des choses mais pas une peste. Une pute, à la limite. Eh bien quoi ! Cette fille avait comploté comme un membre des mafias italienne, russe et colombienne réunies - et combinées à la plus illustre famille de Yakuzas du pays ! – pendant des mois, avait déclenché des apocalypses personnelles et professionnelles, venait de provoquer ouvertement Kilari et il ne faudrait pas l'insulter ?! A d'autres !
Winnie se massa la joue, blessée dans son orgueil d'avoir cru que l'autre s'arrêterait avant. Ou que quelqu'un l'arrêterait avant. Le visage tourné vers son épaule droite sous la violence du coup, elle releva les yeux et s'avisa que Peter ne savait que faire. Ben tiens. Il ne servait décidément à rien, celui-là. Tout juste bon à séduire et encore. La légende urbaine déclare qu'un physique sympathique ne suffit pas, il fallait plus de consistance pour qu'un homme plaise. Et bien Peter en était la preuve ! Aucun charisme, ce pauvre garçon. Pas franchement gentil, pas non plus très intelligent... et courageux, pas le moins du monde ! Il devait sûrement prier pour disparaître, comme il savait si bien le faire. Pour se pavaner, il y avait du monde, en revanche pour assumer, on pouvait repasser.
Pour se donner plus de contenance, Winnie se mit à rire.

Winnie : Et une droite de camionneur. T'as pris le package ou...

Selma – la coupant, fatiguée par ses pirouettes : C'est bon, arrête Winnie.

Winnie : Oh mais non voyons, on ne fait que commencer. N'est-ce pas ? – Lança-t-elle à la cantonade.

Erina : Arrête de faire la belle et redescends un peu. Tu ne maitrises plus rien, tout t'échappe et tu nous fais pitié. Alors déballe tout, qu'on puisse quitter cette pièce et te rayer définitivement de nos vies.

Tout le monde dut l'admettre et Winnie y compris, mais Erina se révélait bien plus coriace que prévu. Peut-être finalement que c'était elle qui avait été le plus sous-estimée. Nuls doutes que rien n'aurait été pareil si Kilari avait écopé de ce caractère impossible que se payait Erina...
Alors que tous guettaient la réaction de Winnie, Seiji posa ses yeux sur celle qui allait peut-être enfin permettre à cette situation de ne plus s'enliser. Il essaya de rester concentré, mais ne pouvait s'empêcher de repenser à la réaction démesurée de son corps lorsqu'elle lui était passée devant, sans pourtant l'ombre d'un regard ou d'une quelconque considération pour lui, et qu'elle avait foncé droit sur la source de leurs problèmes. En trois secondes, la température de son corps avait dramatiquement grimpé, totalement flambé même, et il ne pouvait rien faire contre cela excepté prendre son mal en patience et reporter son attention sur le combat psychologique qui faisait rage entre les deux fortes têtes. Il regretta amèrement d'avoir douté d'Erina. Avec elle à ses côtés, Winnie n'aurait eu aucune chance d'atteindre Kilari...
Celle-ci les rejoignit enfin. Elle avait trainé des pieds, ne sachant trop s'il fallait qu'elle arrête Erina dans sa lancée, si elle devait faire de même ou rester à l'arrière... Pour lui montrer qu'il était là, Seiji entoura brièvement les épaules de son amie de son bras gauche et la relâcha tout aussi rapidement. Ce geste n'échappa pas à Hiroto, qui ajusta sa position et s'appliqua dès lors à ignorer ce qu'il se passait dans son dos.
Devant eux, Erina campait toujours sur ses positions, prête à n'en pas démordre. Déjà, la détermination de Winnie commençait à vaciller. Elle chercha du soutien chez Selma qui contemplait le bout de ses chaussures. Elle jeta un coup d'œil supplémentaire à Peter mais, rien de nouveau sous le soleil, ce dernier avait abdiqué toute raison depuis qu'ils avaient entendu la voix si autoritaire d'Hiroto.
Alors, de mauvaise grâce, elle céda. Elle déballa tout. Elle inonda littéralement les autres d'informations qui les laissèrent sans voix un grand moment, complètement hébétés par tant de méchancetés et d'intelligence combinées.
Elle avoua avoir piraté la boîte mail d'Hiroto pour envoyer un mail à leur manager puis avoir effacé ledit mail, afin que l'information les cueille au dernier moment. Elle fit une subtile allusion au code confidentiel que le beau brun utilisait pour sa messagerie personnelle – le même que pour son téléphone portable – et se moqua de lui, acerbe, arguant que le verbe « pirater » n'était pas le mot adéquat. Il eut la décence de rougir et se promit d'en changer rapidement. En aparté, il se traita de pauvre con. Lui qui se targuait de ne plus supporter Kilari... Décidément, il avait encore un long chemin à faire pour en être totalement purgé. Ceci mis à part, personne ne comprit à quoi elle faisait allusion.
Elle avoua également avoir profité de la fièvre d'Hiroto pour prendre des photos sans qu'il ne s'en rende compte, ce fameux jour où il devait retrouver Kilari, au parc non loin de leur agence. Winnie avait suivi Hiroto, espérant prendre des photos, même un peu loin, qu'elle pourrait retoucher par la suite. Or, lorsqu'il s'était assis sur le banc où Kilari l'avait retrouvé presque vingt minutes plus tard, il n'avait plus bougé. Rien. Interloquée, Winnie s'était approchée et l'avait observé finement, le croyant même mort l'espace d'un instant. Elle s'était alors assise à côté de lui et avait pris rapidement quelques photos qui, elle le savait, mettraient Kilari en rogne. Et le plus beau dans tout cela, c'est que, Hiroto coopérant malgré lui, elle n'avait même pas eu besoin de photo-shop ! Elle s'amusa, goguenarde, de la crédulité de Kilari, si prompte à méjuger Hiroto et qui n'avait pas pris le temps de bien regarder ces photos. Elle pouffa devant l'évidence : si Kilari avait été plus patiente, elle aurait pu voir que le jeune homme avait les yeux fermés sur toutes les photos, bien que Winnie ait tenté par tous les moyens de choisir des angles où ce détail était moins visible. Ses petites provocations mesquines coupèrent momentanément son récit, mais Erina veillait au grain et très vite, elle lui fit cesser sa petite comédie qui ne trompait personne et la poussa à poursuivre ses confidences. Elle ne put s'empêcher d'indiquer, perfide, avoir particulièrement apprécié voir le jeune homme fuir la chanteuse même pas cinq minutes après l'arrivée de cette dernière. Kilari en prit ombrage et Hiroto grogna intérieurement. Ressasser cette journée était trop éprouvant pour lui.
Elle avoua enfin avoir pris un plaisir fou à les regarder s'entredéchirer. N'avait manqué que le pop-corn ! Face à tant d'outrecuidance, Erina hésita à rééquilibrer les choses et lui coller une nouvelle claque sur l'autre joue. Ce fut l'intervention de Kilari demandant la raison de ces agissements, brisée bien que fière, qui la coupa dans ces interrogations.
Et la révélation finale arriva. Tous ces mois de chaos, tous ces mois de souffrance, toutes ces déchirures, toutes ces blessures qu'ils s'étaient infligés, les uns les autres, tout cela n'était dû qu'à une seule chose : l'égo mis à mal de Winnie. Elle revint sur ce qu'elle avait dit plus tôt. Hiroto avait commencé par l'embrasser une fois. Ou plutôt c'était elle qui l'avait embrassé, mais il n'avait pas reculé. Au contraire, il en avait redemandé et, de but en blanc, ils en avaient perdu leurs vêtements et...
Erina aboya sèchement, lui intimant l'ordre de la fermer et de passer à autre chose, d'abréger et le tout, en un seul mot servi avec un regard sans équivoque. Kilari nota mentalement de l'en remercier un jour, quand elle serait en état de s'occuper d'autre chose que des dégâts internes causés par cette bouchère, son état psychologique n'étant plus qu'un bain de sang depuis que Winnie allait de révélation en révélation.
L'Américaine, hautaine jusqu'au bout, conclut en se tournant vers Hiroto.

Winnie : Tout ça, c'est ta faute. Tu sais très bien ce que tu m'as fait. Je n'ai fait que te rendre la monnaie de ta pièce.

Erina : C'est bien beau tout ça, mais toutes les merdes que tu m'as mises sur le dos, elles arrivent à quelle heure dans ton petit mea culpa ?

Winnie – grinçante : Ça, - puis sa voix se fit plus mielleuse – il faut le demander à ce cher Peter...

Ledit Peter vit converger vers lui trop de regards pour être pleinement à l'aise. Et cela ne manqua pas d'aller de mal en pis lorsqu'il remarqua la mâchoire tendue d'Hiroto et les yeux incandescents d'Erina, prête à le bouffer sur place. Même Seiji avait dans ses prunelles si rieuses habituellement, une rancœur bien trop sombre à son goût.
Ainsi, il lui fallut encore moins de temps qu'à Winnie pour céder, encouragé par Selma qui lui rappelait point par point tout ce qu'il avait fait. Encore une fois, le coupable tout désigné, d'après-lui, n'était autre que le leader des Ships.

Erina : Quoi ? Toi aussi t'as couché avec lui ?

Hiroto : Erina !

Elle se contenta d'incliner la tête, le mettant au défi de dire quoi que ce soit d'autre. Il contracta une fois de plus ses mâchoires, si bien que Seiji se demanda s'il n'allait pas finir par se briser une dent ou deux...
Mais les raisons en étaient toutes autres. Pour commencer, ce que ne dit pas clairement Peter mais que tout le monde comprit, c'est qu'il y avait une sacrée dose de jalousie dans ce spécimen de garçon. Il revint sur ce jour où ses sentiments d'arbitres avaient été piétinés par Hiroto au pied même de la piscine des Stars se bougent. Volontairement snobé, mis à l'écart même lors de la soirée de clôture, il n'en avait été que plus décidé à agir. C'est là qu'il a trouvé dans Winnie une bonne alliée au but commun : foutre la merde dans la vie si parfaite et si lisse d'Hiroto.

Winnie – ne pouvant s'en empêcher : Et Kilari.

Ainsi apprit-on comment Erina avait progressivement été mise sur la touche par Peter qui, la bousculant sciemment dans les couloirs, avait placé le journal intime de Kilari au milieu des affaires éparses d'Erina en priant pour qu'elle ne remarque pas l'erreur de propriétaire. Journal qui était entré en sa possession suite à la conversation qu'il avait surprise entre les deux adolescentes et grâce à l'inattention de Kilari. Après l'avoir subtilisé, il en avait fait des photocopies pour permettre d'arranger plus facilement la lettre qu'il s'apprêtait à déposer chez Hiroto. Ce dernier tiqua légèrement à l'entente de potentiels « arrangements » concernant les pensées de Kilari, mais ne s'appesantit pas trop là-dessus, étant invectivé par Peter dans la suite de son monologue. L'ancien arbitre annonça n'éprouver pas l'ombre d'un regret quant à la réaction d'Hiroto, après-tout, il n'était pas mort de son appendicite et cela lui avait permis de quitter le devant de la scène plus facilement. A l'entendre, on pourrait presque croire qu'Hiroto devait l'en remercier !
Finalement, et pour le plus grand soulagement d'Erina, il déclara avoir monté la tête à Kilari quant aux prétendues intentions de sa « nouvelle amie ». Il ne s'en excusa pas non plus, se défendant même d'y avoir été contraint à cause des trop bons conseils que cette dernière lui donnait à longueur de journée. Un peu amusé par ce qu'il allait dire mais craignant la réaction du bouledogue en tenue rétro face à lui, il osa dire à Kilari :

Peter : Faut avouer que t'es bien jolie, mais pas très dégourdie. Tu vois pas plus loin que le bout de ton nez.

Kilari encaissa la remarque sans broncher. Sans blague ! Elle se faisait la remarque depuis des années, alors un peu plus ou un peu moins...
Le bras de Seiji reprit la position qu'il avait adopté quelques instants auparavant, tel l'ami fidèle qu'il était, protecteur, chaleureux et réconfortant face à l'adversité. Au même moment et malgré lui, comme cédant à un réflexe qu'il avait eu pendant de longues années, Hiroto esquissa un mouvement en direction de Peter, gardant Winnie sur le côté droit de sa vision et Erina de l'autre côté, sur la périphérie gauche. Et en plein centre, bien face à lui, Peter.
Ce dernier sut immédiatement quelles seraient les dernières révélations qu'il devait faire. Il avait vainement espéré y échapper, mais c'était sans compter sur la ténacité d'Hiroto qui souhaitait coûte que coûte savoir jusqu'où le mensonge était allé, jusqu'où les blessures s'étendaient et surtout si elles pouvaient, selon l'éclat de la vérité, se résorber d'elles-mêmes. En un mot, guérir. Réparer...

Hiroto : Tu oses dire ça et..., – mais Hiroto n'acheva pas sa phrase. Ce n'était plus son rôle de défendre Kilari. Il laissait ça à qui le voudrait bien, lui, il en avait terminé avec tout cela – Parle-moi de ce putain d'appel téléphonique qu'on a eu tous les deux.

Peter croisa les bras, souhaitant se donner plus de contenance, mais abandonna l'idée.

Hiroto : C'est plus facile de m'insulter quand je ne suis pas là, hein ?

L'ultime vérité surprit Kilari qui ne s'était pas du tout aperçue de l'appel d'Hiroto. En l'apprenant, l'envie de pleurer la submergea. Si elle avait su, comme bien des choses auraient été différentes ! Il avait fait un pas vers elle et elle n'en avait jamais rien su ! Quel gâchis ! La rage gagna du terrain sur les larmes et elle crut mourir à tenter désespérément d'étouffer cette pulsion de violence qui montait en elle à la simple évocation de Peter. L'entendre parler allumait en elle un feu qu'elle crevait littéralement d'envie d'assouvir. Elle voulait le frapper. Plusieurs fois. Jamais une telle hargne ne l'avait habitée ainsi ! Elle aurait peut-être pris peur de la bestialité de sa réaction si tout n'avait pas été aussi chaotique autour d'elle.
Sentant quelque chose d'inhabituellement brusque s'agiter chez Kilari, Seiji raffermit l'emprise de ses bras autour d'elle. Elle commençait à s'en dégager quand la tension craqua. Et pas que la tension d'ailleurs. Peter termina ses confessions en avouant à Hiroto qu'il avait plus ou moins forcé Kilari à sortir avec lui dans le but de se faire prendre en flagrant délit par les journalistes mais que, hélas, son plan avait échoué et qu'il s'était senti obligé de mentir au beau brun lors de leur appel. Là-dessus, le leader des Ships sentit toute la retenue dont il faisait preuve depuis qu'il avait passé le rideau délimitant la scène et les loges craquer. Il empoigna Peter et l'affala au milieu des robes de soie, des paillettes et des froufrous. Plusieurs cintres tombèrent à terre dans un cliquetis tonitruant. Ils rompirent également plusieurs portants amovibles et trébuchèrent sur des escarpins qui trainaient paresseusement sur le sol. Seiji réagit le premier. Du moins réagit-il physiquement en se jetant dans la mêlée pour calmer son coéquipier, alors qu'Erina se contentait de gueuler quelques encouragements à Hiroto.
Reprenant ses esprits, Kilari s'avança à son tour et tenta d'aider Seiji. Hiroto se démenait comme un beau diable et c'est là que Winnie se rendit compte qu'elle avait échappé à ça. Finalement, Hiroto n'était pas aussi détaché de Kilari qu'il le laissait à penser – ou pensait l'être ! Elle déglutit péniblement et intervint à son tour pour séparer les deux garçons belliqueux. Ils réussirent à extirper un Hiroto vociférant des imprécations à faire pâlir les Vikings, qu'ils firent pivoter sur lui-même afin de ne pas le tenter de retourner échanger quelques coups au milieu de ces mètres de tissus somptueux. Or, il se retrouva nez à nez avec Kilari et c'en fut trop pour lui. Il rugit un putain sonore, enjoignit Seiji de le lâcher, et fila directement vers la sortie d'un pas ferme.
La porte arrière s'ouvrit et claqua. Il ne vint à personne l'idée de lui courir après pour lui rappeler que leur chère et tendre manager avait clairement stipulé qu'ils devaient participer à la soirée. Cela étant, elle n'avait pas précisé quel type de soirée. Et ils avaient eu leur propre compte de conversation pour la soirée, la nuit, voire peut-être même la semaine.
Winnie aida Peter à se redresser. Il fulminait.
Seiji coupa court à ses jérémiades et pour une fois, Peter le trouva assez imposant. Il se moucha le nez d'un revers du poignet, s'aperçut qu'il saignait. Et sans rien ajouter, il partit lui aussi.
Plût au ciel qu'on n'entende plus jamais parler de lui, pensa Erina avant de se tourner vers l'indésirable numéro 2.

Erina : Votre contrat ici est terminé. Cassez-vous.

Winnie la scruta, ricana comme seules les vraies méchantes humiliées savent le faire et se tourna vers Selma. Malgré la fourberie de cette dernière et la déchéance de la soirée, elles n'en restaient pas moins un binôme. Mais Selma chercha Seiji des yeux et la question qu'Erina y vit lui fit comprendre que Selma n'avait pas abandonné son amie par bonté d'âme ou par mauvaise conscience. Elle l'avait fait pour obtenir les faveurs du beau blond qui se dressait devant elles, légèrement décoiffé, véritable bonheur visuel pour quiconque aurait la chance de contempler un tel modèle.
Erina se tourna alors vers Kilari et, d'un petit coup de la tête, indiqua le rideau qui donnait sur le podium, vers la civilisation.

Erina : Viens, Kilari.

Kilari vint. Et elle fut la seule. Seiji ne suivit pas.

Kilari – d'une voix à peine audible dans l'obscurité épaisse qui stagnait près des gros rideaux noirs : Et maintenant, on fait quoi ?

Erina – pas très convaincue elle-même : Un bain de foule ?

Kilari : Une soirée filles ?

Alors qu'elle s'apprêtait à décrire l'angoisse horrifique qu'une telle perspective déclenchait en elle, Erina s'aperçut qu'elle était assez tentée par l'idée. Elle devait soutenir Kilari. Et Kilari devait l'aider aussi. La soirée avait été rude. Elles devaient faire front ensemble.

Erina : Va pour une soirée filles.

Ouvrir les yeux - version Skyblog (Kilari)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant