1. MARJORIE

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— Tu ne vas rien dire ? 

Sébastien me regarde comme il le fait toujours. En fixant mes yeux, l’un après l’autre, comme s’il cherchait derrière chacun d’entre eux la réponse à ses questions. Je me soustrais à son regard en pivotant et je  m’éloigne jusqu’à la fenêtre de notre appartement avec la vue mer, au loin, en plein cœur de Nice. Il va faire beau aujourd’hui. Le ciel et la mer se rencontrent à l’horizon dans une palette de bleus magnifiques. Tout indique que la journée va être splendide. Tout, sauf ce que vient de me dire Sébastien. 

Ok, sois honnête Marj’, tu l’avais vue venir, non ? 

Soit. Mais sincèrement, la chute n’en est pas moins brutale et douloureuse. 

Crac 

Le revoilà, ce craquement caractéristique si familier. Cette fêlure qui résonne dans mes entrailles comme dans mes souvenirs. Je l'avais presque oublié.  

Le bruit d'un cœur qui se craquelle.  

Le bruit d'un cœur qui se brise.  

Puis celui d’une larme qui coule. Que j’essuie immédiatement. Je ne suis pas seule, je n’ai pas le droit de pleurer. Une petite voix du passé se charge de me le rappeler. 

“Ravale-moi ces larmes, tu es hideuse quand tu pleures!” 

J’inspire.  

J’expire.  

Je ne pleure pas notre histoire d'amour. Soyons honnêtes, je sais depuis longtemps qu'on ne s'aime pas comme il le faudrait. Non, ce que je pleure, ce sont nos séances de grignotages à deux heures du matin devant des rediffusions de Dr Quinn, femme médecin. Ce sont les heures passées à déambuler le long de la plage en refaisant le monde. Ce sont les intenses fous rires partagés aux quatre coins de Nice.  

Je pleure le soutien d'un père incroyable à une mère imparfaite et bosselée.  

Je pleure tous les moments à trois qui deviendront solitaires et n'auront plus la même saveur.  


Je ne me fais pas d'illusions. Cyrielle est plus proche de son père, elle voudra rester avec lui. Non pas que je ne l'aime pas. Grand Dieu, je pourrai donner ma vie pour cette gamine! C'est juste qu'on ne sait pas communiquer. Et ça va bien plus loin qu'un simple écart de génération entre une mère et sa fille adolescente. En vérité, nous sommes pareilles toutes les deux. Et c’est bien là que se situe le problème.  

Comme moi, elle ne parle jamais pour ne rien dire.  

Comme moi, elle préfère observer, analyser, comprendre avant d’intervenir dans une discussion, aussi insignifiante soit-elle.  

Comme moi, elle préfère se camoufler derrière les autres. Seulement, quand on est ensemble toutes les deux, impossible de se cacher. Impossible d’avoir une conversation profonde qui tienne plus de trois minutes. Nous ne savons pas quoi nous dire. Et je m’en veux terriblement de cette situation. Je suis l’adulte, je n’aurais pas dû laisser ce silence s’installer. 

— Marjo, dis quelque chose s’il te plaît… entends-je Sébastien me supplier en se rapprochant de moi dans mon dos. 

Je me tourne vers lui et plonge finalement mon regard dans le sien. Je n’y vois qu’inquiétude et fatigue. Je vois bien qu’il redoutait cette discussion et qu’il la ruminait depuis un moment. Ça me peine, parce que nous n’avons jamais eu de secrets l’un pour l’autre ni de sujets tabous entre nous. 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant