23. LISA

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Le retour jusqu'à la maison se fait dans un silence pesant. Je jette des coups d’œil fréquents à mon amie, installée sur le siège passager, le menton posé dans une main, le regard perdu sur le défilé d'habitations que nous dépassons. Elle n'a pas prononcé un mot sur ce qu'il s'est passé au bar, et je ne sais pas quoi en penser. Je tapote le volant du bout de mes ongles tout en me mordant la lèvre. Je bouillonne de l'interroger, de la secouer pour lui faire avouer ce qu'il se trame entre mon frère et elle. Je ne suis pas née de la dernière pluie, je les ai vus vraiment très, très proches, bien trop, pour une accolade amicale. Je ne sais même pas comment réagir à cela. 

Est-ce que c'est mal si je n'ai pas envie de réfléchir à ça maintenant? 

Est-ce que c'est mal si j'ai juste envie de rentrer, prendre une douche et m'enrouler dans ma couette jusqu'à m'endormir pour ne plus penser à rien? 

Bien sûr que c'est mal ! Quel genre d'amie es-tu donc ? 

Alors que je me gare dans l'allée devant la maison et éteins le moteur, Marjorie détache sa ceinture et fait mine de sortir. Je l'arrête d'une main sur son épaule. 

— Marjo, je... Est-ce que... tu veux en parler ? dis-je doucement 

Elle s'est figée, la main sur la poignée de la porte, les yeux baissés. 

— Non, je... Je vais juste aller me coucher... Je suis fatiguée.. 

Sa voix est lasse. Elle ne veut pas parler. Elle veut se recroqueviller dans son coin, seule avec ses vieux démons, comme elle le faisait plus jeune. Je vois que cette habitude-là est toujours intacte, même après tout ce temps. Ce soir, je n'ai pas envie de la retenir. Je dois l'admettre, je lui en veux un peu de m'avoir caché le rapprochement qu'il y a visiblement eu avec Mathy. Je me fais peut-être des idées mais c'est mon frère, bon sang! Et elle, c'est... ma sœur. C'est trop... bizarre. Je n'ai pas envie de décortiquer tout ça maintenant. 

— Ok... Tu n'as qu'à partir devant, je rentre dans une minute, je lui réponds tout en farfouillant dans mon sac pour paraître occupée. 

Je lui concède cette porte de sortie, solitaire mais salutaire, parce que je sais qu'elle en a besoin. Et moi aussi. Quand j'entends la portière claquer, signe qu'elle a déserté l'habitacle, je cesse ma recherche imaginaire et pose mon sac sur le siège passager, en soufflant tout l'air que je retenais sans m'en rendre compte 

Mathy, tu me paieras ce malaise ambiant... 

Alors que je serre mes doigts autour du volant comme si je voulais m'y raccrocher, mes yeux suivent Marjorie du regard. Ses pas sont raides mais sa démarche est rapide, il ne lui faut que quelques secondes pour se réfugier à l'intérieur. Et à peine deux minutes de plus, pour rejoindre la chambre de Mathy, en atteste la lumière que je vois jaillir à l'étage. Bon, c'était une soirée... intéressante. Forte en rebondissements. Je ne sais pas ce qui a fait fuir aussi vite Marjo' mais elle avait visiblement besoin de mettre ça au clair dans sa tête et, peu importe ce qu'il se passe avec mon frère, je peux lui accorder un peu de répit pour faire le tri. Juste un peu. 

Mes yeux se posent ensuite sur la fenêtre du salon au rez-de-chaussée faiblement illuminée. Lucas doit attendre que je rentre pour partir. Je m'en veux un peu de retarder ce moment, mais de toutes façons, nous ne devions pas rentrer avant une bonne heure initialement, donc il peux bien attendre cinq minutes que mes nerfs reprennent leur place d'origine, non? 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant