26. MARJORIE

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Je vérifie la mise en place des pâtisseries pour la troisième fois depuis le départ de Ludwig, il y a à peine dix minutes. Je suis nerveuse. Et ça m'agace ! Je ne suis plus une enfant angoissée par le moindre changement dans sa routine rassurante. Je devrais pouvoir gérer la formation d'un petit jeune, non ? 

Bon, c'est vrai, je n'ai jamais supervisé personne. J'ai toujours été la remplaçante, la dernière arrivée, le renfort. Je n'ai jamais eu la responsabilité d'accueillir, former et manager l'un de mes collègues. Mais quand même... Me mettre dans un état pareil d'anxiété pour un gamin de seize piges, c'est fort ! 

En même temps, tu as du mal avec ta propre fille qui a pratiquement le même âge, alors un inconnu... Pas étonnant que tu sois au bord de l'apoplexie !  

Tout va bien. Je me force à me répéter cette phrase comme un mantra. Je ferme les yeux et commence le décompte censé m'apporter un peu de réconfort mais rien n'y fait. Mes mains sont moites et mon cœur bat la chamade à l'approche de l'heure fatidique. Mathias a dit qu'il l'accueillerait en aparté avant de venir me le présenter. Deux personnes qui ont le pouvoir de me mettre incroyablement mal à l'aise pour des raisons totalement différentes sont sur le point de faire leur apparition. À vrai dire, je ne sais pas vraiment laquelle de ces deux confrontations m'inquiète le plus. Je suis encore mortifiée des mots que j'ai eu pour Mathias vendredi soir. N'avoir ne serait-ce qu'envisager qu'il puisse nourrir une quelconque attirance pour moi me couvre d'une honte brûlante. Je ne comprends même pas mon comportement. Et en même temps je suis toujours en colère contre lui de vouloir diriger ma vie comme s'il avait voix au chapitre. C'est moi qui ai cinq ans de plus que lui, pas l'inverse ! Ce regain de rage sous-jacente a le mérite de me faire oublier un temps ma peur. Et c'est armée de cette fureur amère que je fais face à mon boss et mon nouvel apprenti qui viennent de pénétrer dans le salon de Thé par l'entrée de service. 

— Bonjour Marjorie. 

Le ton de Mathias est neutre. Il ne me laisse rien deviner de ce qu'il ressent. J'imagine qu'il a décidé d'enfiler le masque du boss insensible. Son irascibilité ne le rend pas moins attirant, je le crains. Sa vision est une véritable torture pour mes sens. Je le trouve magnifique, comme toujours. Mathias a cette beauté brute sans fioriture. Il n'est pas comme ces gravures de mode qui font étalage de leurs muscles dans les magasines. Il n'a pas besoin de ça. Il transpire le charisme et la virilité, c'est affligeant. Je croise son regard d'un bleu glacial que la cicatrice au-dessus de son œil rend encore plus intense. Il attend une réponse visiblement. 

— Bonjour. 

C'est bref et quelque peu impersonnel mais au moins ma voix n'a pas tremblé. Il s'en contente à priori, puisqu'il enchaîne sur la présentation du jeune homme qui se tient à sa droite. Un grand gringalet vêtu d'un jogging bleu marine et d'un sweat-shirt à capuche beige, une casquette NY vissée sur la tête. 

— Steven, je te présente Marjorie. Marjorie, Steven, énonce-t-il en nous désignant à tour de rôle. 

— Bonjour Steven, dis-je en m'avançant et en lui tendant la main. 

Le gamin se contente de hausser les sourcils et de me fixer d'un air revêche. Je laisse tomber ma main le long de mon flan 

Ok, ça promet de franches parties de rigolades... 

— J'ai déjà expliqué le b.a.-ba à Steven, il sait qu'il doit se caler sur tes horaires. Pour le reste, je te laisse libre de le former comme bon te semble. J'ai quelques formalités administratives à boucler, enchaîne-t-il en désignant le dossier qu'il tient sous son bras. Je vais m'installer en salle. Tu n'auras qu'à venir me voir s'il y a quoi que ce soit. 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant