3. MARJORIE

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Juin 2008

Ça, ce n’était pas prévu...  

— Ok, surtout, on ne panique pas ! tente de tempérer Lisa, tout en faisant les cent pas devant moi, dans sa salle de bains, la mine totalement affolée. 

Pourtant, il y a vraiment de quoi. Je suis assise sur le rebord de sa baignoire, un test de grossesse dans les mains et mon avenir en suspension devant mes yeux. 

— On ne panique pas ! crie-t-elle en s’arrêtant devant moi. 

— Tu l’as déjà dit Lisa, parviens-je seulement à dire, les yeux dans le vague, la voix monotone. 

— Bien sûr que je panique ! Pourquoi, toi, tu ne paniques pas ? me hurle-t-elle dessus. 

À vrai dire, je flippe à mort. Mes oreilles bourdonnent et mon cœur va probablement transpercer ma cage thoracique à ce rythme-là. Mais, comme d'habitude, quand une émotion trop forte me submerge, je me bloque et rien ne sort, ni de ma bouche, ni de mon visage. Lisa le sait et, sans exprimer le moindre mot, elle sort de la salle de bains et revient quelques secondes plus tard à peine avec un calepin et un crayon. 

— Tiens, me dit-elle seulement, en me les tendant. 

Je les prends, sans grande conviction. Je ne suis pas sûre que ça fonctionne aujourd'hui. Je suis épuisée et j'ai la nausée. Est-ce que ce sont déjà les premiers signes de grossesse ? Mon Dieu, comment vais-je révéler ça à mes parents ? Et Sébastien ? Je laisse tomber le carnet et le crayon qui rebondissent sourdement sur l'épais tapis devant la baignoire et me prends la tête entre les mains. J'ai du mal à respirer. 

Lisa se précipite à mes côtés et me prend dans ses bras. Elle me berce et tente tant bien que mal de me rassurer. 

— Jojo, ça va aller, je suis là ok ? Je ne te laisse pas tomber. On va trouver une solution. Tu veux que je me renseigne sur la suite ? 

— Comment ça, la suite ? 

— Et bien, tu sais... L'avortement... 

L'avortement... Je n'ai pas encore pleinement pris conscience qu'un petit être vit à l'intérieur de moi qu'il me faut déjà envisager de le tuer. Pas de doute, la nausée est là. Je me précipite au-dessus de la cuvette des toilettes et vomis l'intégralité de mes repas des quinze derniers jours. Ça fait un mal de chien, bon sang ! 

— Ok, on verra plus tard pour ça, décrète mon amie, la mine soucieuse, une main sur mon dos. 

Je ne suis sûre de rien, mais ce qui est certain, c'est que cet enfant restera pour l'instant là où il est, dans mon ventre. Rien que l'idée de l'en déloger me donne à nouveau mal au cœur. 

Nous restons là encore quelques minutes, ou quelques heures, difficile à dire. Ce soir, je dors chez Lisa, comme c'est toujours le cas le week-end. Mes parents bossent tous les deux et Catherine adore me bichonner selon eux. En vérité, je soupçonne mes parents d'acheter la gentillesse de Catherine à mon égard à coups de colis de viande gratuite lors de son marché hebdomadaire du vendredi à la boucherie. “Les Cellier, bouchers de père en fils." Pas de chance pour eux, je suis une fille, unique qui plus est, et je ne compte pas reprendre l'affaire familiale. Mais ça, c'est une autre histoire. Catherine prend soin de moi, c’est indiscutable. Et mes week-ends auprès de la famille Menatti sont autant d'appréciables oasis au milieu du désert affectif de la vie quotidienne avec mes parents. Je ne me plains donc jamais quand ma mère me dépose au lycée tous les vendredis matin, le sourire aux lèvres et me répétant toujours la même phrase, mot pour mot : 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant