21. MATHIAS

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La soirée est longue, très longue. Et ça n'a rien à voir avec le niveau des chanteurs amateurs qui me fait pourtant grincer des dents à plusieurs reprises. Par contre, ça a tout à voir avec le rapprochement entre Marjorie et cet enfoiré de Silvero qui se joue sous mes yeux. Et si je ne me calme pas de suite, je suis bon pour me racheter un carton de verres. J'en suis à ma troisième flûte brisée...

Ah, non, ce sera finalement quatre... 

Je ramasse les éclats de verre, encore une fois, quand j'entends Tom, mon animateur pour la soirée, remercier le chanteur sortant. 

— Un tonnerre d'applaudissements pour Théophile qui nous a ravi avec sa reprise de Lorie, merci mon grand ! On n'aurait certainement pas fait mieux ! 

Si, et ça n'aurait pas été très difficile, mais sur une chanson de Lorie  ? Sérieusement ? 

Tom tapote l'épaule du grand type à lunettes qui quitte ensuite la scène, un petit sourire gêné aux lèvres. 

Tu peux être gêné mon vieux ! C'était horrible... 

Le pauvre garçon se fait huer par quelques clients alors qu'il regagne sa tablée. Il me ferait presque de la peine, s'il n'était pas en train d'éclater de rire avec ses deux copines. Il s'amuse, c'est l'essentiel. Tom reprend son micro pour annoncer le prochain. 

— Maintenant, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de faire un accueil chaleureux à la ravissante Lisa, qui se trouve être la sœur de l'hôte de ses lieux. Donc les gars, on réfléchit à deux fois, avant de la siffler, ok ? 

Toute l'assemblée se tourne vers moi. Je pointe deux doigts vers mes yeux puis balaie l'assistance avec. 

Je vous ai à l'œil, bande de pervers ! 

Lisa monte sur la petite scène que nous avons installé pour l'occasion, et récupère le micro des mains de Tom, qui s'éclipse pour lui laisser le champ libre. Je suis surpris que Lisa chante. Même si elle adorait ça, plus jeune, il y a bien longtemps que je ne l'ai plus entendue pousser la chansonnette. En fait, je percute à l'instant qu'elle a arrêté de chanter après le départ de Marjo. 

Dès que la musique est lancée, je suis ramené à des années-lumières de l'instant présent, en 2008, quelques semaines avant le départ de Marjo'. No Air, de Jordin Sparks et Chris Brown. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai entendu Lisa et Marjo' entonner cette chanson. Dès que résonnaient les premières notes, je me ruais dans la chambre de ma sœur, pour les voir, une brosse chacune à la main, entonner le refrain qu'elles connaissaient par cœur. Je captais toujours, dans ces moments-là, la lueur d'admiration pour son amie, qui se reflétait dans les yeux de Marjo'. Cette façon qu'elle avait de toujours mettre Lisa en avant m'impressionnait, comme si l'aura puissante et éblouissante que dégageait ma sœur suffisait à réchauffer son cœur. Comment pouvait-on s'oublier à ce point pour ne laisser briller que la lumière des autres? Ça me dépassait. Et ça me peinait aussi. Mais au fond, je m'en foutais, parce que moi, c'est toujours sa lumière à elle que je voyais quand ma frangine chantait. Et je la trouvais magnifique. 

C'est donc tout naturellement que mes yeux dérivent, presque malgré moi, vers la place qu'occupait Marjorie jusqu'à présent. Sauf qu'elle n'est plus là. 

Merde, ou est-elle ? 

Léo n'est plus à sa place non plus. 

PUTAIN! 

Mon regard scanne les quelques personnes qui se sont levées pour danser devant la scène, et je la vois enfin, en train de filmer Lisa avec son téléphone. Léo est à ses côtés et glisse son bras dans le bas de son dos pour encercler sa taille. Un grondement rauque s'échappe de ma gorge à cette vision. 

Bordel, je vais me le faire ! 

Avant même que j'intervienne, je vois Marjorie ranger son téléphone dans son sac puis se dégager doucement de l'étreinte de Léo qui, heureusement pour lui, n'insiste pas plus. Pour le moment. 

Parce qu'il revient à la charge, plusieurs fois, pendant la reprise de Shallow de Lady Gaga, massacrée par une petite brune à couettes dont j'ai oublié le nom. Ils dansent un slow. 

Un slow bordel!  

Marjorie se tient à une distance raisonnable, mais Léo tente par tous les moyens de se rapprocher d'elle. Il lui murmure quelque chose à l'oreille, glisse sa main dans le bas de son dos. Marjorie ne semble pas ennuyée mais je ne sais pourquoi, je sens qu'elle n'est pas très réceptive. Il ne m'en faut pas plus. Je sais qu'elle va m'en vouloir mais je suis obligé d'intervenir. Je préviens José, qui a terminé en cuisine, pour qu'il prenne ma place pendant cinq minutes, et me dirige vers eux à grands pas. Le regard d'avertissement que me sert Marjorie à mon approche ne me dit rien qui vaille. 

Rien à foutre, j'ai suffisamment rongé mon frein... 

Lorsque j'arrive à leur hauteur, je pose ma main sur l'épaule de Léo et la serre juste assez pour que ce ne soit pas agréable. Il se tourne vers moi en grimaçant. 

— Désolé mon pote, je t'emprunte ta cavalière, tu veux ? 

Un sourire complètement faux plaqué sur le visage, je serre un peu plus ma poigne quand je vois qu'il n'a pas l'air de vouloir me céder sa place. Il se dégage vivement et lève les mains en signe de défense. 

— Ça va mec, j'allais chercher à boire de toutes façons. 

Il s'éclipse tandis que je me rapproche de Marjo dont les yeux lancent des éclairs. 

— Non mais ça ne va pas, Mathias ?! Qu'est-ce qu'il te prend au juste ? 

Elle est furieuse, mais elle est surtout super sexy. Je me rapproche encore jusqu'à passer mes bras dans le creux de ses reins et l'attirer contre mon torse. Là, c'est beaucoup mieux. Elle noue ses bras autour de mon cou tout en me fusillant du regard, tandis que je commence à nous faire bouger en rythme sur une reprise de Beyoncé cette fois. Halo. Je ne dis rien. Je n'ai pas envie de parler. Je veux juste la sentir. Contre moi. 

— Tu sais que ce n'est pas en me faisant danser que tu me feras oublier ton comportement de connard avec Léo ? 

Je ne veux surtout pas parler de lui. Je choisis de réagir sournoisement, comme toujours avec Marjo. Je la distrais en changeant de sujet. 

— Tu es sûre ? Parce que je me suis vachement amélioré depuis la dernière leçon que tu m'as donnée. 

Elle lève les yeux au ciel, une moue mi-amusée, mi-agacée sur le visage. 

— Tu n'avais pas besoin de mes leçons. Tu as fait ce que tu fais toujours et ce que tu fais là encore, tu m'embrouilles pour que j'oublie ce qui me prend la tête. 

— Tu as tort, cette leçon était indispensable, tu veux que je te montre mes progrès ? je lui sussure dans le creux de l'oreille. 

Elle frissonne. Je prends ça pour un oui. Tandis que je place mon bras droit dans le creux de ses reins, je prends sa main droite dans la mienne, et, d'une impulsion, la fait tourner sous mon bras, comme elle me l'a montré jadis. Puis, un nouveau tour en sens inverse que j'interromps en plaquant son dos contre mon torse. Je glisse mes mains sur son ventre, et rapproche ma bouche de son oreille. 

— Alors, j'ai progressé ? 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant