9. MARJORIE

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J'ai fait le tour de toutes les adresses que m'a données Lisa. Et je n'ai rien trouvé, pas même l'ébauche d'un "peut-être". Certains m'ont reconnue et témoigné une curiosité toute relative quant à mes années passées loin d'ici. D'autres ont fait semblant de ne pas me remettre. Et puis il y avait les nouveaux arrivants, qui ne m'ont traitée, ni plus ni moins, que comme une touriste. Je suis désespérée... 

Mais je n'ai pas le temps de m’apitoyer. Il est presque 17h. Je dois rentrer à la résidence des Bernois et récupérer mes affaires avant de me rendre chez les Menatti. Alors que j'active le pas à proximité de ma destination, j'entends une voix masculine m’interpeller dans mon dos: 

— Hey, salut ma jolie! 

Mathy ? 

Je me retourne vivement. Non, ce n'est pas lui... 

Ne serait-ce pas un brin de déception que je détecte là ?  

Je secoue la tête. Ce n'est clairement pas le moment pour une introspection. Le type qui m'a interpellée s'avance vers moi. Il porte un uniforme de pompier et vient visiblement de la caserne à quelques mètres de là. Je suis un peu mal à l'aise à vrai dire. Qu'est-ce qu'il me veut ? Il s’arrête devant moi, un grand sourire aux lèvres. Mince, il me rappelle vaguement quelqu'un mais impossible de mettre le doigt dessus. Je lui rends son sourire, essayant tant bien que mal de donner le change. Il est très bel homme, c'est indéniable. Grand et à la carrure plutôt imposante, il me dépasse, à vue de nez, de quinze bons centimètres, ce qui n'est pas rien au vu de mon mètre soixante-douze. Son visage est agréablement dessiné. Des cheveux blonds coupés courts, des yeux d'un vert foncé profond, un nez droit surplombant une bouche légèrement trop grande, ce mec est un très beau spécimen, cela va sans dire. Son immense sourire et ses yeux qui pétillent n'enlèvent rien à son charme. 

— Tu ne me remets pas, n'est-ce pas ? suggère-t-il sans se départir de son sourire. 

— Si, bien sûr... En fait, non, pas du tout, je suis désolée, grimacé-je finalement, après quelques secondes d'hésitation. 

Il éclate d'un rire franc. C'est un peu déconcertant de voir autant de dents dans un sourire, mais c'est agréable, je ne vais pas me plaindre. 

— Ne t'en fais pas, je ne te jette pas la pierre. J'ai quand même beaucoup changé depuis le lycée. Léo... Léo Silvero... Ton partenaire de TD en première ? 

Punaise, Léo... 

— Mais oui ! Léo ! C'est dingue ! Tu as tellement changé ! 

Je suis tellement surprise, et heureuse aussi. Léo Silvero. La seule personne plus silencieuse que moi en cours. Il était l'archétype-même du premier de la classe, au lycée. Grand gringalet, timide à lunettes et appareil dentaire. Il cochait toutes les cases. Mais c'était surtout la personne la plus gentille que je connaisse, après Lisa bien sûr. Extrêmement intelligent et très cultivé, nos discussions étaient toujours très stimulantes. Je l'aimais beaucoup. 

— Je peux te faire la bise ? me demande-t-il en m'ouvrant les bras. 

— Bien sûr ! lui réponds-je passant un bras dans son dos pendant qu'il me claque une bise sur chaque joue. 

— Je ne pensais pas te revoir de sitôt dans le coin, reprend-il. 

— Je ne pensais pas ME revoir de sitôt dans le coin, pour tout te dire, mais les aléas de la vie... Enfin, tu vois... 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant