4. LISA

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Le choc est rude. Je ne m'y attendais vraiment pas. S'il y a bien une personne que je ne pensais plus revoir de ma vie, c'est bien Marjorie Cellier. Et pourtant, elle est là, à ma porte. Merde alors… 

Mis à part un épuisement évident qui lui marque les traits, elle n'a pas beaucoup changé. Toujours les mêmes boucles auburn que je devine dans sa longue tresse. Ça, c'est nouveau par contre. La Marjorie que je connais (que je connaissais !) portait ses cheveux toujours lâchés, peu importe la saison. De grands yeux verts, un nez droit, une bouche à la lèvre inférieure légèrement plus épaisse que la lèvre supérieure, tout y est. Seules quelques rides très peu marquées au coin de ses yeux témoignent des années qui ont filé. Pas de doute possible, c'est bien elle. Pour une fois, Maman n'a pas totalement perdu la boule. Pas à ce sujet en tout cas... 

Je suis figée là depuis quelques minutes déjà, quand Maman réapparaît à mes côtés : 

— Mais enfin Lisa, tu ne vas pas laisser ton amie à la porte tout de même ! Rentre Marjorie, rentre ! 

Elle lui prend la main, la tire à l'intérieur et la traîne au salon sans ménagement. Je les suis du regard et attrape celui de Marjorie, qui, perplexe, ne sait visiblement pas comment réagir. Soit. Ça lui fera les pieds. Je ferme la porte, souffle d’agacement, puis leur emboîte le pas. 

Quand je vais raconter ça à Mathy.… 


***** 


C'est très bizarre. 
  Être assise là, sur ce canapé à côté de Marjorie, c'est très bizarre. 
  Comment quelque chose qui nous semblait si naturel peut-il devenir à ce point déroutant ? 

Maman nous a laissées, une fois son "colis" déposé sans délicatesse sur le canapé. Marjorie n'est pas à l'aise, je le vois bien, mais je n'ai vraiment pas envie de l'aider. Quelques minutes passent pendant lesquelles mon ancienne amie parait être sur le point de parler puis se ravise au dernier moment. Voilà autre chose qui n’a pas changé chez la jeune femme : sa difficulté à mettre des mots sur ses émotions. Un vieux réflexe que je ne parviens pas à retenir me pousse à l’interpeller : 

— Si tu comptes sur moi pour t'amener un cahier et un crayon, tu peux te brosser Martine ! 

Un léger sourire retrousse le coin de ses lèvres à la suite de ma réplique cinglante. Ce rappel involontaire de ma part à notre adolescence passée devant la télé à singer toutes les publicités diffusées me laisse un goût doux-amer sur la langue. C'était la belle époque, sans secret ni mensonge. 

Elle semble toutefois comprendre qu'il n'est plus l'heure du silence, puisqu'elle ouvre enfin la bouche : 

— Lisa... Tu ne peux pas savoir à quel point je suis contente de te voir... Et stressée aussi, je ne vais pas te le cacher. 

— À la bonne heure ! Elle ne va pas faire de cachotterie, cette fois-ci ! je m'exclame, levant les bras en l'air en mimant la victoire. 

Le sarcasme, c'est ma réponse à la gêne et elle le sait, raison pour laquelle elle n'y prête pas attention et continue sur sa lancée : 

— Je sais que tu m'en as voulu d'être partie… 

— ... C'est le moins qu'on puisse dire... 

La Mécanique des Cœurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant