La pierre qui a fracassé la fenêtre fermée par un rideau près de la porte d'entrée est peinte en noir. Quatre lettres blanches ont été peintes dessus au pochoir en capitales : PUTE.
À quelques pas de la chose, chaussée de mes tongs, je tremble de tout mon corps. Là, ce n'est plus un simple bout de papier. Une ligne a été franchie, et mes ongles s'enfoncent dans la paume de ma main. Je suis tout à fait consciente de très mal maîtriser la situation.
Sur le sol, la pierre semble me narguer, mais je ne la touche pas. Pas parce que je sais que la police va vouloir y rechercher des empreintes, mais à cause de l'impression vaguement superstitieuse que son contact pourrait me transmettre quelque chose d'horrible. Comme si une sorte d'agent infectieux avait réussi à entrer dans mon univers et que la seule solution soit de fuir.
Ce n'est évidemment pas le cas. Au contraire, je dois me battre. Mais comment se battre quand on ne peut rien voir ?
Comme en réponse, Harry me force à desserrer le poing et entrelace ses doigts aux miens. Je laisse cette sensation me calmer. Les insultes, les ragots, les pierres... je pourrai tout encaisser s'il est à mon côté.
Pour l'heure, il parle au téléphone avec le chef de son équipe de sécurité. La police a déjà été appelée, mais il n'est pas question que Harry la laisse régler l'affaire. Il termine son coup de fil, raccroche et se retourne vers moi.
– Ça va ?
– Oui, oui, je réponds, ça va. À présent, ça va. Il me scrute, comme s'il cherchait un message sous mes paroles. Il me faut un moment pour comprendre ce qui le tracasse. Puis je me rends compte que je me trouve au milieu d'une mare d'éclats de verre. Je ferme les yeux. J'étais trop concentrée sur la pierre, puis sur la main de Harry qui prenait la mienne. S'il ne l'avait pas fait, j'aurais éprouvé cette envie familière, je le sais. Je vais bien, dis-je d'un ton ferme en serrant sa main dans la mienne. Tu es là.
– En effet, dit-il avec un regard tendre, mais d'un ton très professionnel. Je te donnerai le choix entre Malibu et le centre-ville, mais tant que nous n'aurons pas découvert qui a fait cela, tu restes avec moi. Et ce n'est plus un sujet ouvert au débat.
N'étant pas idiote, j'acquiesce. Mon refus tout à l'heure était sincère, mais avec cet incident nous avons franchi une frontière et nous nous trouvons en terrain dangereux. Et je ne vais pas risquer ma sécurité pour sauver la face.
– Je préférerais Malibu, j'avoue. Mais il n'y a pas de meubles.
La maison était à peine terminée quand nous sommes partis en Allemagne, et je suppose que le mobilier loué par Harry pour la soirée en l'honneur de Blaine et pour la présentation de mon portrait a dû repartir dans l'entrepôt d'où il venait.
– Je vais le faire rapporter, dit-il en désignant le lit. Et je vais demander à Sylvia de louer suffisamment de meubles pour que la maison soit habitable. Il m'attire contre lui et me donne un baiser. Nous pouvons décorer petit à petit, et au fur et à mesure que nous trouverons des objets qui nous plaisent, nous renverrons ce que nous avons loué.
Je lève les yeux au ciel mais ne peux m'empêcher de sourire. J'étais presque anéantie quand
Harry m'avait dit vouloir que nous meublions la maison de Malibu ensemble. Je n'ai pas envie de perdre cette occasion parce qu'un connard me jette des pierres. Harry, évidemment, comprend tout sans que j'aie besoin de le lui dire.
– Et Jamie ? demande-t-il. Elle viendra habiter avec nous, ou nous la logeons à l'hôtel ?
Je glisse dans ses bras, soudain si bouleversée de reconnaissance et d'amour pour cet homme que je ne parviens plus à tenir debout.
– Merci, je murmure. Connaissant Jamie, je sais qu'elle adorerait habiter dans la maison de
Malibu.
– Je vais demander à Sylvia de lui faire porter une clé et le code de sécurité à Arrowhead, et d'envoyer quelqu'un ici pour emballer ses affaires. Elle pourra aller directement à Malibu à son retour.
– Merci, je répète.
– De quoi d'autre as-tu besoin ?
Je quitte ses bras pour aller m'asseoir sur le canapé.
– Peux-tu faire en sorte que tout soit réglé rapidement ?
– J'aimerais bien, dit-il en me rejoignant.
À vrai dire, je suis terrifiée. Mais je ne veux pas le montrer. Je sais que Harry se sentira responsable, alors qu'il ne l'est pas. Cet honneur appartient à Dieu sait quelle salope de psychopathe
– oui, je suis sûre que c'est une femme – qui a décidé de s'en prendre à mon petit cul.
– Peut-être que c'est Carmela, dis-je.
– Pas son genre, dit Harry. Mais je demanderai quand même à mes équipes de vérifier.
– Tu ne m'as informée de rien.
Je ne l'accuse pas, je constate simplement un fait. Et franchement, je n'ai pas voulu penser à la question. Mais je ne suis plus protégée de la réalité par l'Atlantique, une partie de l'Europe et tout le personnel du Kempinski. À présent, je sais que celui ou celle qui me harcèle se trouve ici. Et si je ne me concentre pas sur la situation – si je ne me pose pas de questions, si je ne réfléchis pas et ne surveille pas mes arrières –, je ne vaux pas mieux que ces idiotes au cinéma qui montent des escaliers dans des maisons sans lumière alors qu'elles savent pertinemment que le tueur les attend.
C'est la réalité, me dis-je. Et que cela te plaise ou non, elle revient s'imposer dans notre vie.
– Je ne voyais pas l'intérêt de t'accabler avec ces trucs si nous ne savions rien.
– Tu recommences à me protéger.
– Oui. Et je crois t'avoir déjà expliqué dans le détail que je n'ai pas l'intention de cesser. Cela vous pose-t-il un problème, mademoiselle Fairchild ?
– Seulement si tu ne m'informes pas. Alors, qu'est-ce que tu ne m'as pas dit ?
– Pas grand-chose, avoue-t-il, dépité.
– Commence par le tableau. As-tu avancé sur l'identité de celui qui a fuité à la presse que j'en suis le modèle ? Ou que tu m'as beaucoup payée ? Parce que, la première lettre étant arrivée à ce moment-là, je ne pense pas qu'il soit exagéré de penser que tout vient de la même personne.
– Il se trouve que je suis d'accord avec toi. Et la réponse en résumé est non, nous n'avons trouvé personne.
– Et sans résumer ?
– Attends. Il indique la fenêtre et deux hommes qui passent devant. Mon équipe.
Nous les accueillons à la porte, mais ils préfèrent ne pas entrer tant que la police n'est pas encore arrivée. Ils ressortent pour inspecter les alentours, récupérer les images de la caméra récemment installée et faire leur boulot habituel de spécialistes de la sécurité en pareil cas.
– Et sans résumer ? j'insiste.
– Nous avons quelques pistes. Arnold, l'enquêteur qui travaille régulièrement pour moi, a récemment reçu des images d'une caméra de sécurité d'un distributeur sur Fairfax. Je secoue la tête, interloquée. Ce distributeur se trouve être en face du café où notre intrépide journaliste a l'habitude de retrouver ses informateurs.
– Waouh ! Je suis impressionnée.
Harry avait identifié le premier journaliste à avoir publié l'information, mais celui-ci avait refusé de révéler sa source.
– Cela va prendre un peu de temps. La caméra donne des images floues en dehors d'un périmètre défini. Mais Arnold pense avoir le moyen de rehausser la netteté sur l'arrière-plan.
– Oui, ça prendra du temps, je confirme. Surtout que nous ne savons pas quel jour il a pu rencontrer sa source.
– Malheureusement, tu as raison. Mais nous avons une fourchette de temps, et Arnold peut au moins sortir des tirages et me les faire parvenir. Avec un peu de chance, il s'agira de quelqu'un que je peux reconnaître.
– Je ne devrais pas regarder aussi ?
– Si. Mais il est fort possible que l'auteur de ces méfaits cherche à me nuire. J'ai demandé à Ryan d'enquêter sur les parties en présence dans plusieurs accords difficiles que je prépare.
– L'idée étant de faire diversion en harcelant ta petite amie, pour que tu ne sois pas si coriace dans les négociations ?
– Quelque chose de ce genre...
– Ce n'est peut-être pas professionnel, dis-je. Tu as couché avec beaucoup de femmes, Harry. Même si ce n'était pas du sérieux pour toi, peut-être que ça l'était pour elles. Et l'une pourrait être jalouse.
– Exact. Nous explorons aussi cette piste.
– Et la lettre anonyme arrivée à la Styles Tower ? Le texto que j'ai reçu à Munich ?
– Rien encore. Mais nous n'avons pas renoncé. Il jette un coup d'œil à sa montre et passe un coup de fil. Du nouveau ? demande-t-il avant de froncer les sourcils en écoutant la réponse. Bien vu, dit- il. Ça pourrait être une excellente solution pour nous aussi. C'était Ryan, explique-t-il après avoir raccroché. Les caméras de l'entrée et du parking ont surpris le coupable. Grand, maigre. Dissimulé par des lunettes de soleil et une capuche noire. Il ou elle gardait la tête baissée, mais Ethan est sûr qu'il s'agit d'une démarche d'homme, très probablement un adolescent.
– Un adolescent ? Mais...
– Il a sans doute été payé pour faire ça. Le vrai coupable traîne dans les environs, il demande à un gamin s'il veut gagner quelques billets.
– Ah...
Ça se tient.
– Heureusement, il y a des caméras dans les galeries marchandes. Nous aurons peut-être de la chance.
Je hoche la tête. C'est une bonne piste, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir.
– Je vais t'assigner quelqu'un de mon équipe de sécurité.
– C'est ça ! je réponds en relevant brusquement la tête. Pas question que je vive surveillée en permanence.
– C'est nécessaire.
– Tu ne vas pas me faire escorter partout par tes services secrets ?
C'est une chose d'habiter avec Harry, de prendre des précautions raisonnables. Et tout à fait une autre de devoir brusquement vivre dans un bocal de verre, comme un politicien ou une célébrité.
– J'ai une équipe disponible si nécessaire. Mais rien n'indique que je suis en danger.
Je m'apprête à répondre que je ne suis pas en danger non plus. Mais étant donné que je viens d'accepter d'habiter avec lui à cause du jet de pierre, je ne peux pas revenir en arrière. Autant je n'ai pas envie qu'un type en costume noir et oreillette surveille le moindre de mes gestes, autant je ne veux pas me conduire bêtement.
– Nikki... dit-il doucement. Penses-tu que je pourrais survivre, s'il t'arrivait quelque chose ?
Je sais ce qu'il éprouve. Si quelque chose lui arrivait, je suis sûre que j'en mourrais.
– Très bien, dis-je. Mais pas un bonhomme qui m'escorte ou me file de manière évidente. Si tu veux qu'il y ait quelqu'un au bureau si jamais je le loue, je n'y verrai pas d'objection. Et tu as déjà accès au GPS que tu as fait installer dans la voiture, j'imagine.
– Je pourrais m'y connecter, dit-il. Mais ce ne serait pas très facile. Je préférerais installer un truc sur lequel je puisse opérer directement.
– D'accord.
– Et ton téléphone.
– Quoi, mon téléphone ?
– Je veux pouvoir te suivre avec. Certaines apps permettent de le faire. Je vais en installer une.
– Juste comme ça ? Sans même dire « S'il te plaît » ?
– Oui, dit-il en tendant la main.
Je lui donne mon téléphone. Il télécharge l'app, tripote les réglages, puis me rend l'appareil. Puis il sort son propre téléphone et répète le processus. Un instant plus tard, mon téléphone bourdonne. Je jette un coup d'œil, lance la nouvelle application et vois un point rouge indiquant que Harry est là, dans l'appartement.
– Comme ça, tu ne me perdras jamais non plus, dit-il.
– Oh ! Je me cramponne à mon téléphone, soudain sans voix. Peut-être est-ce le stress de la soirée, peut-être est-ce hormonal... en tout cas, avoir installé ce traceur sur mon téléphone me semble le geste le plus romantique qui soit. Merci, je murmure.
– Je ne t'abandonnerai jamais, Nikki, dit-il en me prenant la main pour m'attirer à lui.
– Jamais je ne te pardonnerais, si tu m'abandonnais.
Le lendemain matin, je reste médusée devant Lisa qui écarte les bras pour me montrer l'étendue du modeste bureau.
– Alors ? Qu'en pensez-vous ? demande-t-elle.
Elle est menue, mais elle a tellement d'allure qu'elle semble remplir tout l'espace.
– J'adore !
Le bureau est loué meublé, et apparemment le propriétaire de Granite Investment Strategies a un goût très sûr. Non seulement la table de travail est assez grande pour qu'on puisse y étaler une demi- douzaine de projets, mais elle est moderne et élégante, avec suffisamment de fantaisie pour être amusante, mais pas trop pour rester professionnelle. Les murs sont nus, mais ce n'est pas difficile à arranger.
La banquette est un bonus. L'espace est si petit qu'il aurait été raisonnable de n'avoir que deux fauteuils visiteur en plastique moulé. Mais le locataire d'origine a réussi à bien l'agencer, et le petit sofa contre le mur opposé semble donner la touche finale à l'ensemble plutôt qu'occuper tout l'espace.
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Trilogie Styles [Tome 3]
Romance'Beau, fort et dominateur, Harry Styles remplit un vide en moi qu'aucun autre homme ne peut combler. Ses désirs me poussent au-delà de mes limites et libèrent en moi une passion qui nous consume tous deux. Pourtant, derrière son besoin de dominance...