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Inlassablement, en rêve, je bascule de la terrasse du bâtiment et je tombe. Harry tend la main vers moi, affolé, et tente de me rattraper. En vain. Il  est bloqué au-dessus de moi  qui tombe, inexorablement, vers le sol dur et glacé où je vais me fracasser, voler en un million d'éclats, espérant que Harry viendra me reconstituer, mais certaine qu'il ne le fera pas. Qu'il en est incapable. Ne serait-ce que parce que c'est lui qui m'a poussé.
 
Je me réveille en hurlant, agrippée à Harry. Même le battement régulier de son cœur et ses paroles apaisantes ne peuvent me calmer, car je ne suis plus en mesure de distinguer le cauchemar de la réalité.
 
Je veux simplement que tout ça soit terminé. Mais quand nous quittons le hall du Kempinski deux heures plus tard – sous les flashes crépitants et cernés par les journalistes hurlant leurs questions sur le procès qui commence aujourd'hui –, je change d'avis. J'ai peur qu'en souhaitant la fin de tout cela, je ne fasse que désirer mon anéantissement. Mieux vaut que les absurdités qui précèdent le procès continuent. Je veux rester à l'abri dans le cocon de cet hôtel, si c'est le seul moyen d'éviter la réalité.
 
Dès l'instant où nous nous sommes rencontrés, c'est comme si une bulle magique nous avait isolés de tout. Mais la réalité a commencé à s'insinuer dedans. Ma mère, qui a débarqué comme une tornade à Los Angeles, réduisant en pièces la fragile existence que j'avais enfin réussi à me construire. Les paparazzi, qui ont failli me briser quand ils ont appris que j'avais posé nue en échange d'un million de dollars. Et à présent ce procès, qui a tout pour faire voler en éclats ce que Harry et moi avons réussi à construire ensemble.
 
Je n'ai aucune intention de quitter Harry, et je crois qu'il n'a pas plus l'intention de m'abandonner. Mais je ne peux m'empêcher de craindre que, malgré notre volonté, le destin ait d'autres projets pour nous. Harry est peut-être l'homme le plus fort que je connaisse, mais peut-il lutter contre le monde entier ?
 
Le trajet est beaucoup trop bref et nous arrivons rapidement au tribunal où siège la cour qui va le juger. Le bâtiment, moderne, est un parallélépipède tout de verre et de pierre blanche. Il me rappelle à la fois le tribunal fédéral de Los Angeles et une salle de spectacle comme le Dorothy Chandler Pavilion. Étant donné le drame qui risque de s'y jouer, c'est sans doute approprié.
 
Ces derniers jours, je suis venue ici plusieurs fois assister aux réunions entre avocats. Cependant, je n'ai pas tremblé. Aujourd'hui, je ne peux m'en empêcher. Un frisson me glace jusqu'à la moelle, comme si j'étais transie de froid. Comme si jamais plus je ne connaîtrais la chaleur.
 
Je prends une profonde inspiration et me glisse vers la portière que le chauffeur garde ouverte. Mais je suis arrêtée par la main de Harry posée sur la mienne.
 
– Attends, dit-il d'une voix sourde. Tiens.
 
Il ôte sa veste et la pose sur mes épaules. Je ferme brièvement les yeux. Assez longtemps pour me maudire. C'est vrai, enfin, ce n'est pas à Harry de s'occuper de moi. C'est moi qui devrais le soutenir. Je me retourne dans la limousine, l'attire contre moi et dépose un baiser ferme et rapide sur ses lèvres.
 
– Je t'aime, je lui chuchote, espérant que ces simples mots lui feront comprendre tout ce que je ne dis pas.
 
– Je sais, dit-il en plongeant son regard dans le mien. À présent, enfile cette veste.

Je hoche la tête, comprenant le message muet : peu importe la situation, il ne cessera jamais de veiller sur moi. Je ne peux pas discuter, après tout, c'est aussi ce que je ressens.
 
Je descends de la voiture et me redresse, mon sourire spécial pour la « Société » collé sur le visage, car nous sommes entourés par des journalistes venus de toute l'Europe, des États-Unis et même d'Asie. Je suis assez entraînée à dissimuler mes émotions pour être certaine d'avoir l'air sûre de moi. Mais il n'en est rien. Je suis terrorisée. Et d'après la manière dont Harry me tient la main, je sais qu'il s'en rend compte. J'aimerais être plus forte, mais c'est impossible et je vais devoir m'y faire, c'est tout. Jusqu'à la fin de cette affaire, et quelle qu'en soit l'issue, je vais marcher sur une corde raide. J'espère simplement qu'à la fin je pourrai me réfugier dans ses bras, et non pas plonger dans l'abîme toute seule.
 
– Herr Styles ! Fraülein Fairchild ! Nikki ! Harry !
 
Les voix nous cernent, certaines anglaises, d'autres allemandes ou encore françaises. Et aussi d'autres langues que je ne reconnais pas.
 
Depuis mon arrivée à Munich, la presse ne nous a pas lâchés. Et il ne s'agit pas seulement du procès. Non. Les tabloïds sont tout aussi avides de scruter la vie amoureuse de Harry. Dieu merci, ils ne ressassent pas constamment cette histoire de portrait ou d'argent qu'il m'a versé. Mais ils fouillent avec allégresse dans leurs archives et sortent des photos de Harry en compagnie du flot ininterrompu de femmes qui ont été vues à son bras. Mannequins. Actrices. Héritières. Harry m'a dit  lui-même  qu'il  avait  beaucoup  baisé,  mais  qu'aucune  de  ces  femmes  n'avait  jamais  rien représenté de spécial. Pour lui, il n'y a que moi.
 
Je le crois, mais je n'apprécie toujours pas de voir ces photos aux devantures des kiosques, à la télévision et sur Internet.
 
Néanmoins, pour l'instant, je serais ravie que la presse se soucie seulement de savoir avec qui couche Harry. Mais ce n'est pas sa préoccupation du jour. Aujourd'hui, la presse a soif et réclame du sang.
 
Et je me rends compte que je retiens ma respiration seulement quand nous franchissons le seuil et pénétrons dans le bâtiment. Je jette un bref coup d'œil à Harry et parviens à lui adresser un pauvre sourire.
 
– Si j'avais pu te laisser à l'hôtel aujourd'hui, je l'aurais fait.
 
– Je préférerais mourir que ne pas être avec toi.
 
Malheureusement, le fait d'être là pourrait bien me tuer.
 
Le hall bruisse d'avocats et d'employés du tribunal qui s'affairent en tous sens. Je les remarque à peine. À vrai dire, je ne remarque pas grand-chose, et je suis un peu surprise quand un garde en uniforme me tend mon sac à main : je me rends alors compte que nous venons de franchir le contrôle de sécurité.
 
Un quinquagénaire bien mis, les cheveux poivre et sel, accourt vers nous. Charles Maynard, l'avocat qui représente Harry depuis son apparition sur les courts à l'âge de neuf ans en petit prodige du tennis. Il tend la main à son client tout en me regardant.
 
– Bonjour, Nikki. Mon équipe sera dans le rang immédiatement derrière la barre des témoins. Vous serez aussi assise là, évidemment. J'acquiesce, reconnaissante. Si je ne peux être à côté de Harry, au moins je ne serai pas loin. Nous devrions discuter avant que cela commence, continue-t-il pour Harry. Vous voulez bien nous excuser ? me demande-t-il.
 
J'ai envie de protester énergiquement, mais je me contente de hocher la tête. J'essaie de ne pas parler, tant j'ai peur que ma voix s'étrangle et me trahisse.
 
– Entre donc, me dit Harry en serrant ma main dans la sienne. Je te retrouve dans un instant.

Trilogie Styles [Tome 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant