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Lénore pouvait toucher ces souvenirs. Chaque pièces se reconstituaient parfaitement dans sa mémoire sans qu'elle en fasse le moindre effort. Elle s'était battit elle-même sur ces fragments tranchants.
Elle se revoyait approcher de la forêt de Huelgoat, pas a pas, tous les matins un peu plus près des ronces acérées et du bruit doux de la rivière en contrebas. À ce moment-ci elle ne depassait pas les quinze ans, ses joues portaient la rondeur de l'enfance et l'ombre des grands mythes que racontaient les crédules. "La grotte du diable" nommait souvent Ray en s'amusant de la candeur de sa soeur, l'evoquant toutes les nuits où l'orage frappait fort et poussait les volets contre les pierres du mur.

Lénore n'aimait pas la bretagne.

La première semaine elle eut dompté le paysage, appris le refraint des arbres immenses et de leurs griffes pointus, puis un jour, elle se libéra d'un long souffle. Un sifflement auquel un oiseau repondit. Alors, même si sa mère lui en avait formellement interdit l'accès, elle se résigna à la curiosité, se promettant de franchir, quand elle en aurait le courage, la barrière invisible d'une crainte puérile.
La deuxième semaine, sur la pointe de ses chaussures en cuir, elle put frôler l'écorce rugueuse d'un cyprès. Elle courrait à sa finalité, un sentiment de fierté et d'appréhension se mélangeaient dans ses veines.

Au début de mars, elle se mit à surveiller les alentours comme un faucon alerte de sa proie, sachant que si on l'apercevait elle n'aurait plus le droit de s'aventurer sur le domaine de sa tante. Elle s'assura d'être camouflée par les feuilles sauvages avant de courir au milieu des buissons, des sapins et des chênes.
Elle se fut tant hâter qu'elle n'eut pas réfléchi à sa destination ou à ce chemin emprunté. La solitude glaça son sang, le cris assourdissants des alouettes, la grotte du diable et les affreux mythes dont elle jurait la véracité, se répétèrent comme un mentra dans l'esprit perdu de la jeune fille.
Quand une larme se forma aux creux de ses longs cils ébènes, un bruit, un carillon humain ou animal résonna dans l'incertitude de son dos. Elle se retourna brusquement, s'empêchant de hurler quand elle vit sa cousine se débattre avec les hautes herbes.

Agathe la contempla troublée, incapable de comprendre pourquoi sa plus jeune invitée se promenait seule dans un lieu proscrit. Lénore, quant à elle, sut que rien de bon ne l'attendait dans cette rencontre. Agathe était toujours froide, venimeuse et rogue, son visage affichait rarement ce genre d'expression perplexe.

- C'est un bel après-midi Léo, lui avait-elle dit après quelques secondes qui parurent durer une éternité.

Elle fut la seule à l'appeler ainsi, admettant trop volontier qu'elle trouvait son prénom ennuyant à articuler. Elle portait un pantalon de chasse et des grosses binocles qu'elle ne posait jamais sur son nez.
Lénore ne comprit que bien plus tard qu'Agathe fut obligée de s'en accommoder si elle désirait correctement tirer.

- Je t'en supplie ne raconte rien à mes parents.

À cet âge-ci, rien ne l'inquiétait plus que les chaînes qu'imposaient les adultes. Une punition dérisoire est un faste que détiennent ceux qui naissent dans un berceau d'or, c'est pour cela que la brune se moqua distinctement.

-On est dans la forêt Léo, de quoi as-tu peur?

Cette question lui parut étrange, elle ne voyait ici que la pénombre des mauvais songes qui grossissaient. Ils enflaient jusqu'à occuper tout l'espace entre elles.
Le vent ébouriffait ses cheveux cuivrés, les emportant vers l'arrière en espérant l'attirer également.

Elle aurait dû écouter cet avertissement divin, ou du moins chercher à l'entendre. Agathe lui offrit un rictus condescendant, ignorant ses bottes tachées d'une récente pluie alors qu'elle se mouvait dans sa direction.

Une Cuillère De Caviar Et De Sang (Alastor X Oc) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant