XVIII

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Le rythme qu'Everett lui imposait était lourd.
En France, Lénore eut suivi les enseignements d'une des écoles les plus appliquées, et pourtant, son supérieur réussissait à depasser ce niveau. Pour ce qui lui paraissait être la centième fois de la journée, elle remua son poignet, l'etirant en priant pour que la douleur passe. Elle écrivait tout ce que son inspiration lui dictait, cela ne lui déplaisait pas, bien que Ray soit plus douée à ce jeu là, Léo aussi pouvait être créative.

Le roux passait le seuil de la porte avec deux cafés, il en mit un face à son assistante, et même si elle detestait l'amertume d'une telle boisson, elle la saisit et en engloutit une grande gorgée.  Elle avait besoin d'énergie, plus qu'elle ne le possédait actuellement. Everett s'emparait brutalement de sa feuille, survolant rapidement les lignes laides dont l'encre coulait en de sales tâches. Heureusement pour elle, il semblait habile pour déchiffrer ce que ses professeurs s'évertuaient à brimer.

— Ta Margaret est encore trop incisive! Couinait-il en passant dans des octaves plus aiguës. Je sais que tu as du caractère mais cesse de t'identifier à elle!

—Désolée, baragouinait-elle, la tournure des événements que tu m'imposes ne me plaît pas...

—Tu pourrais développer?

—Je ne vois pas pourquoi Laetitia serait éprise d'Ambrose. Elle est l'amie d'enfance de Margaret, elle est plus attachée à elle qu'elle ne le serait d'un vulgaire homme...Sans vouloir te manquer de respect! Je ne trouve pas cela cohérent et même si personne ne se donne le courage de le prononcer, cela me parait évident! Laetitia est amoureuse de Margaret.

Le garçon soupirait, reposant le papier à sa place. Il tapait distraitement, répétitivement, ses ongles sur le bois, créant une symphonie désagréable. L'anxiété de ce bruit la fit se tendre à chaque battement, elle essayait si fort d'analyser les machinations qui se developpaient dans ses méninges, cela l'epuisa d'autant plus.

Un coup et elle frémissait, un coup et son esprit divaguait, un dernier qui lui arrachait un souffle désespéré. Il finit enfin par porter son attention vers elle, appuyant lassivement son menton pointu sur sa paume. Sans qu'elle ne comprenne son appréhension, elle essuya une goutte de sueur qui glissait dans sa nuque. Peut-être que le printemps de la Nouvelle-Orléans était trop instense pour qu'elle laisse pendre ses cheveux le long de son dos.

— En fait, je sais que tu as raison. Laetitia est plus complexe qu'il n'y parait. Je ne contrôle plus ce personnage depuis longtemps, elle vit, développe sa propre conscience au point où ça me parait absurde. C'est stupide n'est ce pas? Une anomalie qui se rebelle contre la plume de son dieu. C'est passionnant et affolant de se dire que je ne maîtrise plus l'histoire et que je ne fais que me plier à l'exigence de ses protagonistes. J'aimerais réussir à la remettre sous mes verrous, correctement scellée. Il serait plus facile pour nous qu'elle s'amourache d'Ambrose, mais oui, à ce stade, ça me paraîtrait illogique.

— Alors je dois réorienter son affection?

— Non, ne t'y risque pas. Le publique n'attend pas ça, de toute façon, il n'aime que Laetitia sous sa forme édulcorée. Pour eux elle est simple et soumise, c'est sûrement mieux ainsi. Laissons sa fougue mourir !

Léo ouvrit la bouche, prête à dégainer le pistolet de sa déception, cependant, elle fut interrompue par monsieur Beleau qui franchissait la pièce sans autorisation. Il ne l'eut jamais demandé après tout, il dominait la station sans possédait le moindre titre. Il adorait imiter le despote tout puissant, inébranlable, loin de se soucier des possibles conséquences.

Aujourd'hui, son costume fut d'un rouge plus amer, une couleur de vin si elle devait le définir, comme si son humeur affectait sa tenue. Plus il était joyeux, plus la nuance s'eclaicissait, plus l'aigreur se sentait, plus la teinte se rapprochait du noir. Il ne communiquait qu'au travers d'un sourire figée, une grimace aussi fade que l'encre brouillonne de Lénore. Certainement, il exprimait puérilement, inconsciemment, ses états d'âme à travers des bouts de tissus. Contrairement à Daniel, il ne jonglait pas avec hésitation, il ne semblait pas maladroit, le plus infime de ses gestes fut calculé, presque méticuleux. Rien n'était un détail quand il s'agissait de démêler les horribles nœuds de sa personnalité.

Une Cuillère De Caviar Et De Sang (Alastor X Oc) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant