À tort et À découvert

XLVIII - 48 (D)

Diego Oulanov

Enfin, devrais-je plutôt dire Sebastian. Lorsque j'avais interrompu son appel avec ses petites sœurs jumelles, l'une d'entre elles l'avait appelé Sebas, l'équivalent hispanique de Seb. Sur le moment, je m'étais dit qu'il avait dû changer de prénom avec l'adoption, mais en général, on prenait le nom de famille de ses parents adoptifs tout en conservant son prénom. Par conséquent, il avait changé de prénom lui-même, pour un autre tournant dans sa vie, le trafic. Je me demandais s'il avait aussi conformé son caractère pour son "travail" ou s'il était comme ça de nature. Déjà, il était fourbe. Il m'avait fait croire que Marta était en danger pour mon anniversaire et je l'avais cru. C'était un bon manipulateur. De plus, il était surdoué, pourtant il se faisait passer pour le bobet de la bande. Autrement dit, il savait être sérieux, mais il cachait son jeu, dans quel but ? Sans parler qu'il était du genre sensible avec un grand cœur, pourtant il était un charo avec les filles. Il les fréquentait, il trainait avec et peut-être que c'était pour les...

Je ne voulais pas envisager la suite. Puis, même s'il était frimeur, il pouvait se faire silencieux, comme la fois où il m'avait bâillonnée par-derrière en me surprenant dans une ruelle. Était-ce un avertissement ? D'ailleurs, est-ce qu'il faisait vraiment des courses sportives matinales ou est-ce qu'il faisait les courses dans le sens locution. Et pour qui, les faisait-il. Évidemment, il travaillait pour son frère, cependant, une fois, J avait prétendu que D était le préféré de Pablo et qu'il ne pouvait rien lui refuser. Quel était le lien entre Pablo et D à part J. Et si D avait suivi les pas de son frère en bossant pour le même patron, mais proposant d'autres consommations qui ne se prenaient pas au bar, mais aux côtés de Piotr, sur la piste de danse, où il passait tout son temps. Cela expliquerait pourquoi il était resté évasif sur son affinité avec le dealeur tout en choisissant exactement son épicerie pour m'acheter des beignets.

En pleine réflexion, une révélation me frappa en plein visage. Un souvenir me parvint de la fois où J m'avait prêté sa moto, car je m'étais foulée la cheville en glissant sur ce que je ne préciserai pas. Bikeuse que j'étais, je m'étais permise un petit détour sur la Camden Town. À un moment, je m'étais arrêtée au feu rouge et j'avais aperçu un groupe de cinq jeunes capuchés, en noir, en train de faire un échange. Un seul ne portait pas de couvre-chef laissant ainsi apparaître ses bouclettes. C'était lui. J'en étais sûre et certaine. Le soir même, on avait la fête de départ de William et quand D était rentré, j'étais aux toilettes, alors je n'avais pas pu voir sa mallette. Qu'est-ce qu'elle contenait, des documents, des billets ? Si c'étaient des liasses, ça expliquerait comment il avait pu se permettre de me payer une tablette pour mon anniversaire. D'ailleurs, maintenant que j'y pensais, elle pourrait m'être utile tout compte fait.

Je la pris alors encore dans son carton et la retournai pour retracer son numéro de série. Malheureusement, il n'y avait pas besoin de pièce d'identité pour acheter un iPad contrairement aux téléphones, mais avec un peu de chance, il avait payé en carte. Bingo. L'achat avait bien été déduit d'un compte bancaire au nom de Sebastian Perez. Diego était donc effectivement un nom d'emprunt, mais visiblement uniquement en dehors de la Russie. En effet, un détail attira mon attention. Il avait payé avec une Mir. C'était un système de paiement qui avait remplacé ceux d'American Express, de Mastercard et de Visa qui s'étaient retirés du gouvernement russe à cause de la guerre contre l'Ukraine. La particularité de cette entreprise, c'était qu'elle était pratiquement exclusive à la Russie, autrement dit on ne pouvait qu'utiliser cette carte là-bas, ce qui voulait dire que ma tablette avait été achetée à Poutine. J'en profitai alors pour faire des recherches sur ses transactions au cours de ces trois dernières années et je remarquai qu'il y avait des débits allant de 10'000 rouble russe à 100'000 ₽ (~100 euros à 1000 €) chaque mois. Diego voulait donc faire croire que Sebastian vivait toujours en Russie. Il cachait bien son jeu, autant que la peluche qu'il dissimulait sous sa doudoune dans l'avion pour pouvoir dormir. D'ailleurs, était-ce la sienne ou était-ce celle d'un enfant de son... J'espérais sincèrement que j'étais juste en train de surcogiter et pour ne pas aider, je me servis un verre pour la suite. Moi aussi, j'avais besoin d'aide pour m'endormir...

Marta Moroz