XLVIII - 48 (J)

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Josh Oulanov

De son vrai nom, Jov Yelsky. Il m'avait bien bernée. Il m'avait eu, avec succès même, ça méritait un verre pour fêter ça. Je pris donc la bouteille et bus une énième gorgée. Je n'avais pas besoin de verre, la bouteille en était déjà faite. Jov Yelsky. Josh était Jov Yelsky. Il avait même gardé les deux premières lettres de son prénom telles une provocation. S'était-il arrêté là ou y avait-il un autre message subtil ? Pour m'aider à répondre, je pris à nouveau mon téléphone et cette fois-ci, j'allai sur un moteur de recherche classique, car parfois, il n'y avait pas besoin d'aller chercher trop loin, il en était la preuve même. Alors, d'après safari, Jov signifiait persécuté. Ce mot résonnait en moi. Persécuté. Malgré mon état d'ébriété, léger, je n'étais qu'à la moitié de la fiasque, je parvins à rassembler quelques neurones pour faire le rapprochement. Je me rappelai alors du message qu'il avait laissé après avoir hacké les données.

"Je les protègerai même si vous me tuez.
Je vous persécuterai jusqu'à Londres.
Je suis un homme de parole."

En plus de préciser que c'était un homme et qu'il serait à Londres, il avait signé de son nom. Le culot. Chapeau. Sans parler qu'il n'avait pas perdu de temps pour se rapprocher de moi dès le premier jour. Il appliquait avec rigueur la citation, sois proche de tes amis, et encore plus proche de tes ennemis. Puis, il m'avait gardée subtilement à ses côtés. Déjà, j'étais invitée à leurs innombrables voyages, alors qu'on se connaissait à peine. Il y avait aussi toujours une raison pour que je vienne chez eux et surtout que je reste dormir, combien de fois avait-il insisté. On a encore beaucoup de temps devant nous et des choses à partager, Nessa, c'est loin d'être la fin. Alors, j'espère que ce n'est pas un adieu que t'es en train de me faire là. Ses paroles qui m'étaient directement allées au cœur me revenaient à coup de poignard. C'était petit de jouer sur les sentiments et moi, j'étais dupe, je l'ai cru.

Il m'avait confié qu'il était venu de Russie, entre autres à cause de son homosexualité. J'aurais dû tilter sur cet entre autres. Tout comme il m'avait expliqué que son pays d'origine le rendait mélancolique. Il cherchait alors peut-être à se venger d'une façon ou d'une autre. Après tout, il avait cette part sombre et évidente en lui, c'était certain, un mal le rongeait. Je n'allais pas m'attarder sur ce que j'avais déjà évoqué tel que sa discorde avec Marta dans leur langue maternelle et le fait qu'il ne vienne en cours qu'en alternance avec Wilaya, comme s'ils ne formaient qu'une seule et même unité sans se calculer pour autant. Par contre, un point à noter, c'était qu'il ne jouait pas de sa popularité. En effet, malgré les regards qui se retournaient sur son passage, il ne perdait pas son temps à jouer au beau gosse fortuné et famous. La vérité, c'était qu'il avait d'autres priorités. Une priorité sombre qui le forçait à rester en retrait pour ne pas l'exposer à la lumière. Il n'était pas sur la liste des criminels russes de la fac, il était derrière tout ça. Après tout, ce n'était pas un étudiant comme les autres. Ils n'avaient pas tous les moyens de partir sur un coup de tête en escapade ni d'habiter dans une maison sur deux étages dont il était lui-même propriétaire. Il avait dit qu'il était seul à payer les charges, autrement dit, s'il n'avait pas de contribution ni de ses colocs ni même de ses parents, ce n'était pas en étant encore à la fac qu'il pouvait se le permettre. Cependant, le trafic, ça payait. L'argent était donc le cadet de ses soucis. Pourtant, il bossait dans un bar, autrement dit, avec du monde, qui plus est pour Pablo, qui coïncidence ou pas, était un potentiel dealeur. L'explication que j'avais eue le plus souvent, dans des cas similaires, c'était que cette activité leur permettait simplement à tous deux de blanchir de l'argent main dans la main. D'ailleurs, à ce même endroit, je me souvins que je lui avais dit une fois que tout le monde avait un prix, ce qui avait eu l'air de le faire réfléchir.  Est-ce qu'il s'était senti menacé ? À vrai dire, le prix à payer pour lui, c'était la vérité. Dans l'optique de la rétablir, je réfléchis à mon tour à un moyen de trouver une trace de ses revenus. Il la jouait peut-être à la old school, ce qui était tout à fait son style, en la stockant chez lui, mais je n'y avais pas accès dans l'instant même. Je me rappelai alors du compte bancaire de son petit frère et me dis qu'il y aurait avec un peu de chance des indices.

J'avais déjà commenté ses débits, mais pour pouvoir dépenser, il fallait des versements. Je constatai alors que la même somme était versée de façon ponctuelle et automatique à la fin de chaque mois, telle un salaire. Le seul souci, c'était que Diego n'avait pas de rémunération fixe. Je retraçai donc le numéro de compte associé et ce dernier était celui d'une entreprise, au nom de братьев и сестер. Encore une fois, il n'avait pas laissé place à d'équivoque possible, D recevait de l'argent d'une boîte qui s'appelait la fratrie, c'était à coup sûr celle de J. Je fis quelques recherches, mais rien d'étonnant. Entre son nom, le peu d'informations sur internet et le niveau de sécurité faible du site, il n'y avait pas de doute, c'était une société fantôme. La question, c'était qu'est-ce qu'elle cachait ? J'appréhendais un peu ce que j'allais trouver dans les transactions, alors je me donnai du courage comme je pus avec ce que j'avais sous la main, puis je me lançai. Malheureusement, la surprise fut fade. Le solde était bas, les paiements étaient trop aléatoires pour en faire des déductions et surtout, ils étaient tous destinés à des associations caritatives. J'analysai alors ces dons de plus près et je ne pus m'empêcher de serrer les poings au point de déchiqueter la cigarette qui s'y trouvait. Sans exception, tous les dons étaient destinés à des enfants. J'avais parlé de ses services au bar, mais en réalité, il y avait un autre job que J faisait. C'était du baby-sitting. Ça me foutait une telle rage. Il explorait réellement sur tous les fronts.

En conclusion, il n'était pas sportif certes, mais il n'avait tout de même pas le profil typique d'un geek. Toutefois, je ne m'imaginais pas ça. C'était tellement évident que ce soit lui, celui qui m'avait suivi depuis le début, que ça ne pouvait pas l'être. Pourtant, il fallait se méfier de ses proches et, comme je l'avais dit, il ne fallait, au grand jamais, sous-estimer l'ennemi. C'était celui sur lequel je m'étais le moins intéressée, tout en étant celui sur lequel j'avais le plus d'infos. J'avais foiré. C'était le plus discret, le plus douteux. C'était le coupable. Si, il y était pour tout. C'était lui l'intermédiaire entre moi et la personne pour qui mon cœur faisait chtoubouboum. C'était aussi l'intermédiaire entre ma mission et sa conclusion.

À tort et À découvertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant