chapitre 1- acte 1 : Le temps d'un été

397 26 2
                                    

"Vivre sans amour n'est pas vivre, et vivre dans l'amour sans souffrir est impossible."

Je sursaute, le corps en sueur. Mon cœur bat à tout rompre que j'ai l'impression qu'il va sortir de ma cage thoracique. Ces temps-ci, mes cauchemars sont plus fréquents, mais j'imagine que c'est parce que l'on approche de la date. C'est un cycle sans fin et je me demande quand est-ce qu'un jour cela va se terminer ? Je m'assis sur le rebord de mon lit, serrant les draps de mes doigts trempés, à répéter ce mantra comme une sorte de prière.

Inspire

Expire

Inspire

Expire

Je baigne dans une énergie chaude et dorée.

Les tensions se dissipent. Le calme m'envahit.

Aujourd'hui tu vas assurer parce que tout ira bien.

Tous les matins, c'est le même processus, dès que mon pied touche le parquet flottant en bois de ma chambre. Je répète les mêmes phrases continuellement, c'est Docteur Sullivan qui m'a conseillé de trouver des mots afin de mieux canaliser mes angoisses. Quelques secondes plus tard, les battements de mon cœur ralentissent et j'ai la sensation de respirer de nouveau correctement. C'est fini, tout va bien.

Quand je reprends mes esprits, je remarque que mon réveil affiche 6 h 30, parfait pour aller effectuer un petit footing matinal histoire de me remettre les idées en place. Je me lève, trouve un legging long noir bazardé dans mon placard, un short de la même teinte que je passe par-dessus. J'enfile mon sweat à capuche grisâtre qui prône sur la chaise de bureau. À cette heure-ci, l'air est très frais en ce début de juillet et ce n'est pas le moment de tomber malade, sinon je ne pourrais pas assurer le travail au café de ma mère. Et il est hors de question qu'elle gère toute seule avec Aaron. Scott, lui, je ne le compte pas, il est là quand il décide de venir. Ça serait moi, je te le virerais, même mon père le dit. Mais ma génitrice est beaucoup trop gentille, elle lui trouve toutes les excuses du monde, ce qui a le don de m'agacer. D'accord, Scott a, ce que l'on peut dire, eu une adolescence compliquée, mais est-ce une raison ? Donc, la moindre des choses, c'est d'être reconnaissant envers la personne qui te tend la main et essaie de te sortir de la misère. Bon, tout ça pour dire que je ne veux pas lui rajouter plus de charge sur les épaules. Je récupère mon petit sac à dos, ajoute mon carnet, mon stylo au cas où l'inspiration viendrait pointer le bout de son nez et ferme derrière moi. Je descends les escaliers à pied joints afin de ne pas réveiller toute la maison, mais c'est sans compter sur le parquet qui craque sous mon poids.

— Encore un cauchemar, c'est ça ? m'interpelle mon père ͢͢͢de sa voix rocailleuse du matin.

Je me retourne et lui hoche un oui de la tête. Il souffle presque dépiter.

— OK, mon grand ! Fais attention, reviens au moins pour huit heures afin que l'on puisse déjeuner tous les trois, ensemble.

Puis il referme la porte derrière lui.

Arrivé dans la cuisine, je prends un petit morceau de sucre pour tenir mon running, puis un grand verre d'eau que j'avale d'une traite. J'enfile mes AirPods, replace rapidement les quelques mèches caramel qui me tombent devant de mes yeux azurés et enfile mon portable dans le brassard calé sur mon bras droit. Quand les premières notes de Lewis Calpadi résonnent dans mes tympans, je m'élance aussi sec.

Cela doit faire à peu près une vingtaine de minutes que je suis parti, et je ressens déjà l'effet déstressant qui se produit en moi. Il n'y a rien de mieux que de pouvoir se défouler les jambes et parcourir les sentiers qui serpentent entre les arbres centenaires, où je peux ressentir toute la magie qui se trouve dans ce lieu préservé. Forks, c'est mon brin d'oxygène, un sanctuaire naturel où l'ombre et la lumière dansent ensemble. J'ai passé toute ma vie ici. Pas une seule fois j'ai pensé à quitter cette petite localité d'à peine 4000 habitants. Il y a quelques années, cette bourgade est devenue célèbre grâce à la saga Twilight. A l'époque, pendant un bon moment, nous avons eu beaucoup de curieux, surtout des fans qui venaient se prendre en photos quand le premier volet est sorti. Heureusement, aujourd'hui, c'est plus calme. La vague est passée et les touristes qui viennent ici sont là surtout pour admirer les magnifiques plages sauvages, ainsi que leurs petites îles couvertes de sapins qui demeurent autour.

Arrivé enfin à la rivière Galaway, mon endroit, notre endroit, et me pose sur mon rocher habituel afin de reprendre mon souffle pendant quelques minutes. Comme chaque fois que je suis ici, mes pensées dérivent vers lui. Dans un mois, ça fera un an qu'il a disparu et le manque de son corps est toujours aussi présent. Lui et moi avions l'habitude de venir ici, s'enlacer, se câliner, c'est près de cette rivière que nous nous sommes embrassés pour la première fois à l'abri des regards. C'était notre petit univers. J'étais bien et pour rien au monde je n'aurais changé ça. Bryan était mon premier, en fait, il a été toutes mes premières fois. Mais je n'étais pas préparé à sa mort, non, ça, on ne peut jamais être prêt.
Je récupère mon petit carnet de mon sac, ouvre la première page et je relis, relis ses mots, ses mots qui lui appartiennent. J'ai annoté à l'encre noire le dernier message qui m'a laissé avant d'en terminer. Je l'ai écrit comme pour me rappeler à quel point j'ai merdé. Est-ce que je suis maso ? Sûrement, mais je me dis que si j'avais répondu et que je n'avais pas laissé ma colère me guider, il serait encore présent. Et à cet instant précis. Mes lèvres effleureraient les siennes. Il vivrait avec ma famille loin de son foutu père alcoolique qui le battait. Il travaillerait sûrement avec le mien dans son garage tout en se racontant des blagues qui ne faisaient rire qu'eux. Bryan faisait partie intégrante de ma famille, il avait sa place.

Mes parents ont été peinés d'apprendre cette tragédie, par la suite ils ont été d'un soutien sans faille pour moi. Combien de fois, mon père est venu au milieu de la nuit m'envelopper de la chaleur de ses bras quand je hurlais le prénom de l'homme avec qui je pensais passer le restant de mes jours ! Car oui, ça devait être lui, je pensais que c'était écrit, notre histoire, nous. En tout cas, nos initiales sont gravées sur l'un des arbres centenaires de cette forêt olympique.

Au bout d'un moment et ne supportant plus de me voir dans un état lamentable, mes parents ont décidé qu'il était temps que je vois un spécialiste. C'est alors que j'ai fait la connaissance du Docteur Sullivan, qui maintenant me suit depuis sept mois. À notre dernière rencontre, elle a estimé que j'avais fait beaucoup de progrès, même si elle est consciente que le chemin est encore long ; mais je suis sur la bonne voie apparemment. Ce sont ses mots, pas les miens. Pourtant, moi, j'ai l'impression du contraire, que souvent je vais chuter d'une falaise.

— Quand est-ce que tu vas arrêter de me hanter, Bryan ? J'ai besoin de revoir la lumière à nouveau, je ne veux plus voir danser les ombres dans mes cauchemars, dis-je à voix basse.
Ce qui est complètement idiot puisque je suis seul au milieu de cette rivière entouré d'arbres à perte de vue.

Mais, est-ce que je veux vraiment qu'il sorte de ma tête ? Un jour, mon père m'a dit que je rencontrerai forcément quelqu'un d'autre qui me chamboulera de nouveau. Je lui ai dit que cela m'était inenvisageable. Il a posé sa main sur mon épaule et a commencé à déballer.

— Fiston, je te souhaite de trouver le bonheur avec un autre homme. Tu as le droit de tomber amoureux une nouvelle fois, et quand cela arrivera, et je l'espère de tout cœur, ne te dis pas que tu trahis Bryan. Il a choisi cette solution, mais toi, tu dois continuer à avancer et ne pas te bloquer.

Je prends mon stylo et me mets à écrire quelques phrases par ci par là. Les mots ont toujours été pour moi comme une sorte de thérapie. Docteur Sullivan m'a dit de m'appuyer là-dessus et depuis, je tiens ce petit cahier où je note tout ce qui me passe par la tête. Au fil des mois, il est devenu comme une sorte de journal ou je me mets à lui écrire.

Journal de Nathan

Ce que je vis aujourd'hui correspond exactement à cette inoubliable citation de Lamartine. Mon étoile est partie. Je reste seul à contempler le ciel sombre de son absence...

Et il y a eu Lui (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant