Héritière de l'æther

Chapitre 1 🪽

— Comment te sens-tu, aujourd'hui ? demanda finalement le docteur Dang.

Cela faisait déjà une bonne demi-heure qu'elle était là, assise sur ce canapé qu'elle connaissait si bien. Au début, comme on le lui avait demandé, elle s'était allongée, la tête sur un oreiller, puis sur l'accoudoir au fil des séances. Depuis quelque temps, huit mois exactement, Alaynah préférait s'assoir. La première fois, cela avait été par défis envers ce psychologue qu'elle suivait pour faire plaisir à ses parents adoptifs.

Il y en avait des raisons qui justifiaient sa présence chez un psy. Pour commencer, elle avait été découverte, âgée de seulement quelques jours, dans une maison délabrée de la banlieue de Los Angeles. Ses parents semblaient être de parfaits junkies. Le genre de personne capable de concevoir un bébé en étant accroc au crack. À la vérité, du peu qu'elle avait pu en savoir, ses parents biologiques n'étaient peut-être pas accrocs. Pas tous les deux, du moins. C'était une des raisons avancées par les médecins pour expliquer qu'Alaynah n'ait aucun symptôme ni aucune séquelle.

À bien y réfléchir, elle avait tout de même des séquelles. Des parents avec qui elle ne partageait aucun lien biologique, en premier lieu. Et un psy qu'elle voyait deux fois par semaine depuis qu'elle avait l'âge de parler.

Et après tout ce temps, plus de mille cinq cents séances et une demi-douzaine de psys, celui-ci osait lui demander comment elle se sentait.

Alaynah sourit avant de lui répondre.

— Comment je me sens ? répéta-t-elle en essayant de chercher une réponse qui fasse état de ce qu'elle ressentait vraiment.

— Oui, l'encouragea le docteur Dang en la toisant de ses petits yeux noirs où il était difficile de distinguer la pupille. Pas de manière générale. Là, tout de suite, comment te sens-tu ?

— J'ai mal au dos, lâcha-t-elle. Ça fait déjà deux ou trois jours et ça ne passe pas.

— As-tu consulté un généraliste ?

Alaynah pouffa. Non, elle n'avait consulté que sa meilleure amie : Alicia. Comme elle, Alicia était en troisième année de médecine à Soka University. Depuis l'année dernière déjà, elle ne fréquentait plus de généraliste. Cela n'avait plus aucun sens, selon elle. Elle était parfaitement capable de s'autodiagnostiquer pour tout ce qui concernait les petits bobos de la vie courante.

Le docteur Dang lui proposa de lui faire une lettre pour aller consulter un ami à lui, spécialiste de la colonne, mais elle refusa poliment. Elle n'avait d'ailleurs pas mal à la colonne à proprement parler. Plutôt quelque part entre les omoplates et, depuis ce matin, dans le creux des reins aussi. Des douleurs sourdes, profondes, liées à aucun mouvement ni aucune position. Elle avait mal et puis c'était tout. De sa propre expertise, elle avait besoin d'un scanner. Alicia lui avait promis de lui trouver quelqu'un à la fac pour s'occuper de ça.

Alicia était le parfait opposé d'Alaynah dans bien des domaines. Pour commencer, elle était extravertie à l'excès et se faisait des amies où qu'elle aille. Alaynah, au contraire, n'avait qu'une seule véritable amie : Alicia. Elle avait beaucoup de mal avec les interactions sociales. Une autre bonne raison pour aller consulter un psy. Dans ce domaine, cela avait un peu aidé. Elle avait moins peur des inconnus. Elle ne supportait toujours pas de travailler en groupe, mais à présent, elle arrivait à expliquer qu'elle souffrait de phobie sociale. C'était déjà un bon pas.

— Et à part le dos ? insista gentiment le docteur Dang. Y a-t-il autre chose ?

— Là tout de suite ? redemanda Alaynah.

Le docteur gratta son menton imberbe et laissa échapper un petit sourire.

— S'il y a autre chose, mais que ce n'est pas tout de suite, je prends quand même, déclara-t-il avec un clin d'œil.